Dans le Cahier de Léoncel N° 31, un article synthétise le déroulement des événements dramatiques de 1944 dans les deux communes de Léoncel et du Chaffal.
Pour compléter cet article, le détail chronologique de ces événements est donné en plusieurs communications publiées dans ce site. Celle-ci présente la période d’août 1944 : du 1er au 15, l’armée allemande patrouille, pille et réprime : quatre maquisards capturés sont exécutés. La compagnie Sabatier se dissimule à Comblezine, évitant les combats et donc les représailles envers les habitants. Le 9 août, un détachement allemand, allant réquisitionner du bétail, se heurte au Chaffal aux maquisards des compagnies Chrétien, Morin, Ben : c’est le « combat du Chaffal » qui voit les Résistants repousser l’ennemi. Mais en représailles, La Vacherie est incendiée. Le 14 août, les derniers Allemands quittent Léoncel et les maquisards descendent dans la plaine.
Il n’y a pas d’ouvrage d’ensemble sur le sujet : les sources sont soit des ouvrages publiés, soit des ouvrages non publiés (recueils de souvenirs), soit des entretiens avec des témoins ou des informateurs familiaux. L’origine des informations est précisée dans le corps du texte. En fin de texte, la bibliographie est donnée.
Sommaire.
- L’arrivé des Allemands par les Sausses – Les exécutions
- Le combat du Chaffal, 9 août 1944
- L’incendie de La Vacherie – Les prisonniers – Le départ des Allemands, 14/15 août.
- La Libération – Le passage des Américains, 29/30 août.
L’arrivé des Allemands par les Sausses – L’occupation
Mardi 1er août. Exécution à La Vacherie, au hameau de Mayousse, d’un résistant sans arme. Le curé de La Vacherie, le père Grassot, photographie le corps et son portrait est porté à La Charge, car le carnet du jeune homme portait l’indication « tante à La Charge » ; la famille Samuel reconnaît en effet Roger Samuel (20 ans), un cousin de Sainte-Eulalie. Raymond Samuel a reconstitué son itinéraire, grâce à son carnet : membre d’une unité défendant les hauts plateaux du Vercors, après la dispersion il a traversé avec des camarades le Glandasse, le val de Romeyer ; capturé à Ambel ou aux Sausses, il a été emmené à La Vacherie et abattu de façon barbare.
[Source. Raymond Samuel dans Habitants et maquisards du Vercors – Recueil de témoignages. P. 188]
Boîte américaine de pansements (sulfamides) conservée par Raymond Samuel
Cliché Raymond Samuel, 2022
Cette boîte a une histoire partagée entre Guy Champéroux et Raymond Samuel. Fin juillet 1944, G. Champéroux, réfugié chez les Samuel à La Charge, avait placé cette boîte dans sa table de nuit. Le 31 juillet, quand les Allemands sont arrivés, Guy a dû aller dormir dans la fenière en laissant la boîte, tremblant à l’idée que les soldats la voient… Par chance, l’officier occupant la chambre n’a pas ouvert la table de nuit. [Guy Champéroux Souvenirs, 1994]. Et cette boîte a été retrouvée à La Charge en 1996 par R. Samuel. [R. Samuel, entretien du 5 août 2021].
Les objets parachutés étaient dangereux pour leurs détenteurs. Un souvenir de Jean Reynaud, de la même semaine, le confirme : les Allemands arrivant à Lente, un soldat pose sur la table de la maison un paquet américain (cornflakes ou corned-beef) : « c’était une provocation pour quand ils reviendraient. Ces jeunes étaient les égorgeurs de Vassieux (…). » [Jean Reynaud Habitants et maquisards du Vercors – Recueil de témoignages, p.106].
La deuxième colonne allemande monte de Bouvante par La Charge ; les Allemands s’arrêtent à la ferme. Mme Samuel indique discrètement (en patois) à l’un des otages, Jean Reynaud, où sont les corps des trois victimes de la veille.
Les Allemands sont à Léoncel et à La Vacherie : « Une patrouille allemande eut pour mission le nettoyage du sud de La Vacherie, jusqu’à la bergerie de La Faurie. ». [Source : J. La Picirella 1991, p.358]
Le curé Grassot écrit, après guerre, dans l’éloge funéraire qu’il rédige pour Élie Bodin (du Serre du Mortier) : « Le 1er août 1944, l’abbé Allard est prisonnier des Mongols dans sa cure. Il voit arriver « le père Bodin » chargé de provisions, qui avait risqué sa vie. ». L’abbé Allard avait donc pu revenir de Saint-Nazaire pour le 1er août.[ Abbé Frédéric Grassot, hommage funéraire à Élie Bodin, 31 mars1963, communiqué par le père Julien Sciolla].
Les otages de Gresse voient « Les Allemands très nombreux [qui] sortent du plateau et de la forêt. Plusieurs groupes s’en vont vers des destinations différentes. » Un des otages part en camion pour Grenoble.
Le Cdt Legrand donne au Cne Sabatier la consigne de reprendre dès que possible la région de Léoncel.
Le 2 août, la colonne 2 et ses otages vont à Léoncel, campent à la maison Barraquand (donc pas encore brûlée). Jean Reynaud est obligé par un soldat de piocher un champ de pommes de terre (les pommes de terre ne sont pas encore formées à cette période !).
L’unité venue de Gresse le 31 juillet se divise : les chasseurs s’en vont de leur côté et des « réservistes » rentrent à Gresse avec les otages. De La Vacherie, itinéraire par le col de Comberoufle, le vallon d’Omblèze, le pas du Gouillat, la ferme d’Ambel (brûlée), le pas de l’Infernet, Font d’Urle, le col de la Chau, Vassieux (« Cet après-midi du 2 août, les cadavres sont encore éparpillés dans et autour des maisons en ruines et une odeur atroce, insupportable, stagne sur les bâtiments éventrés. »), col de St-Alexis. « Nos hommes sont complètement « lessivés » tant par la fatigue de la marche (32 km) et la chaleur, et ce qu’ils ont vu, et la faim en plus. Les otages de Gresse passent le 3 du col de Saint-Alexis au Jas neuf via Rousset, Combe Male, Pré Peyret. Le 4 ils rentrent chez eux via le pas de l’Aiguille [Source : Odyssée des onze Otages (…) p.13-15.]
Le 3 août, Un premier détachement de la Cie Chrétien s’installe au Chaffal, cantonnant dans le bois à l’extrémité du Vellan. La Cie Morin y est aussi installée, ou s’y installe ce jour. De même pour la Cie Ben, à Bacallier.
La colonne 2 et ses otages de Lente vont à La Vacherie.
Arrivée du deuxième détachement de la Cie Chrétien au Chaffal.
Le 4 août, la colonne 2 et ses otages repartent vers Oriol, via la Sausse : un comptage par Simone Cavallin-Vassal et ses sœurs, au Fau, donne 300 soldats ; la colonne descend vers Tamée. Les otages de Lente sont libérés et rentrent à Lente via la route de Combe Laval. (R. Samuel fixe ce retour au 5).
Le Lt Chrétien écrit : « Nous tenons en résidence surveillées cinq Italiens et Italiennes et cinq Espagnols travaillant au profit de la maison « Alloncle ». Que faut-il en faire ? ». Le Cdt Antoine doit répondre de façon pragmatique car le 5 août, le lieutenant écrit employer les hommes au bûcheronnage, les femmes à la cuisine, conformément aux ordres reçus. Les étrangers sont traités par les officiers FFI en personnes suspectes, à requérir d’office. On reste dans la logique de l’internement des réfugiés étrangers, tel qu’organisé depuis 1939.
Le 5 août, le Lt Chrétien entend, du Chaffal, des explosions : les Allemands coupent la route vers les Ducs puis vers Brocard.
Le 7 août, deux sections de la Cie Sabatier sont au Grand Échaillon ; la maison forestière et la ferme ont été incendiées ; il y a trop d’ennemis visibles à Léoncel pour y descendre ; tir au FM sur le col de Tourniol.
Le 8 août, on voit à Saint-Jean « une colonne d’Allemands rentrant d’une expédition vers Léoncel et poussant devant eux du bétail volé. [Source : Yves Pérotin La vie inimitable – Dans les maquis du Trièves et du Vercors en 1943 et 1944. PUG éditeur, Grenoble, 2014. P. 261]
Le combat du Chaffal, 9 août 1944
Le combat du Chaffal, mercredi 9 août, oppose les Cie Chrétien, Morin et Brentrup (Ben), à des Allemands pendant plusieurs heures.Comme le combat de Gigors du 27 juillet, le combat du Chaffal est l’un des rares affrontements où des maquisards ont pu arrêter des Allemands.
Sur ce combat, nous disposons des mentions de J. La Picirella, des journaux de marche des compagnies, de rapports du Lt Chrétien, d’un court récit d’un maquisard de la Cie Chrétien, Charles Ponson, des rapports du Cne Brentrup et de deux récits de membres de la Cie Brentrup : le Lt Micoud et un résistant non dénommé.
Nous avons aussi les souvenirs familiaux de Sylvain Philibert et Sylvaine Roux, petit-enfants de Giovanni et Rose Bianchin.
[Sources. Lt Chrétien ADD 132 J 11 et 132 J 32 – Cie Morin 132 J 11 – Cne Brentrup ADD 132 J 11. Les souvenirs du Cne Brentrup sont accessibles sur le site internet des Pionniers du Vercors : Le Pionnier du Vercors n° 37, p.11, Georges Brentrup « La Compagnie Ben – Historique sommaire » – Pour l’amour de la France – Drôme – Vercors 1940-1944, p. 370-371 – J. La Picirella 1991, p. 372 – Lucien Micoud Nous étions 150 maquisards. P.156 – Robert Serre « Étrangers en surnombre : le 352e GTE de Crest (1941-1944) » P. 390 – Michel Wullschleger « Des antifascistes allemands et autrichiens en vallée de la Gervanne » P. 197 – Sylvain Philibert Le Chaffal août 44 inédit – Adrien Rousset, communication du 8 août 2021 – Jean-François et Nadine Duvic, entretien du 29 août 2021 – Sylvaine Roux, entretien du 24 novembre 2021]
La Cie Chrétien est installée « sous la tente dans le bois au sud de la ferme du Chaffal.» Un poste de surveillance est établi sur le rocher du Chaffal. La Cie Morin est également sur le Vellan.
La Cie Ben est installée à Bacallier, son PC est dans la ferme.
À la ferme du Chaffal sont présents Rose Bianchin et ses trois enfants. Le chef de famille, Giovanni Bianchin, et les bûcherons espagnols sont dans les bois, vraisemblablement à surveiller les charbonnières.
Le 8 août, les Allemands de La Vacherie (ou de Léoncel) envoient un habitant à la ferme de Bacallier dire qu’il faut descendre le troupeau le lendemain à Léoncel. Le Cne Brentrup le renvoie : ils n’ont qu’à venir eux-mêmes.
Il pleut toute la nuit sur les maquisards très mal abrités. Certains se réfugient dans la ferme du Chaffal.
Le 9 août au matin, le brouillard masque les vues : est-ce pour cela que les sentinelles du rocher du Chaffal n’ont pas alerté ? Le Lt Chrétien est parti patrouiller seul vers le creux du Pêcher. Au soir, il rapporte : « À 7 h 20 ce matin la compagnie a été attaquée par surprise à la ferme du Chaffal alors qu’elle s’y était réfugiée cette nuit à 2 h 30 en raison du mauvais temps. L’alerte n’ayant pas été donnée, les guetteurs ayant disparu depuis l’attaque. »
À la ferme du Chaffal, Rose Bianchin voit par la petite fenêtre de la cuisine, côté nord-est, des Allemands arriver en rampant dans le champ, montant vers la ferme dans le brouillard. Tout le monde dormait encore. Elle réveille les maquisards : « partez vite les Allemands arrivent ».
Des maquisards ont le temps de sortir par les fenêtres, deux autres sont pris et « tués comme des lapins » aux mots de Rose, « égorgés » aux mots de Pierre Bouchet de Bacallier. Les Allemands incendient la ferme, avec des grenades incendiaires. Des soldats allemands disent à Rose : « Notre chef est fou ? ».
Le récit de Charles Ponson est différent : « Ce matin-là, vers 7 h, quelques camarades, soucieux de se réchauffer vont à la ferme pour boire un café. Désarmés, ils sont subitement pris à partie par des Allemands que nos guetteurs, sans doute gênés par le brouillard, n’ont pas vu venir. »
Le groupe franc de la Cie Ben voit aux jumelles des Allemands surgir et les maquisards sauter par les fenêtres. La première section « en position devant le poste » (en avant de la ferme de Bacallier ?) tire sur les Allemands (« 25 boches ») les empêchant de poursuivre vers le camp Chrétien. Vers 9 h, trente Allemands arrivent en renfort par la route de La Vacherie. Après une heure et demi d’affrontement, les Allemands se retirent.
Des emplacements de tir français sont encore connus : l’un au sommet du rocher du Chaffal, l’autre vers Bacallier.
Le Lt Micoud note : « Deux hommes étaient placés au-dessus de la route en surveillance avec une mitrailleuse, ils passèrent des heures difficiles, immobilisés sous les feux croisés de leurs camarades et des Allemands. » L’un des maquisards, mitrailleur, est un Allemand antinazi, Walter Grunebaum . Vers 11 h, la Cie Morin contre-attaque et reprend la ferme en flamme. Les résistants repoussent les Allemands « parvenant jusqu’aux avancées de La Vacherie ». La colonne allemande à 16 h quitte le village après l’avoir incendié : « … prise sous le feu roulant de nos armes automatiques. Elle disparaît précipitamment dans le désordre le plus complet. »
J. La Picirella a un déroulement un peu différent : vers 11 h, les Cies Ben et Morin viennent au secours de « la Cie Thomas » (erreur ? autre nom de la Cie Chrétien ?) la ferme déjà incendiée est reprise ; l’ennemi est repoussé vers La Vacherie.
Le Cne Ben regretta le manque de liaison avec la Cie Chrétien : « Notre 3e section, en réserve, aurait aisément pu couper la route de Léoncel à l’ennemi et le prendre à revers si elle avait pu être actionnée plus rapidement. Mais les liaisons ne peuvent se faire que par homme et le terrain ne se prête guère aux déplacements rapides. Dommage… ». Il termine ainsi son rapport : « Mes hommes sont trempés, fatigués. Beaucoup sont malades. La Cie, malgré toute la bonne volonté des hommes, ne pourra plus tenir longtemps dans ce secteur. »
« Ce combat bref mais violent coûta cher à la Cie Chrétien » : trois tués, dont « deux pris et fusillés sur place », Lionel et Bernard Giraud, et René Schmitt, et trois blessés dont un mourra de ses blessures quelques mois plus tard : Georges Kalimeri.
Le rapport du Lt Chrétien énumère les morts, blessés et disparus parmi les Résistants mais ne parle pas des civils, alors qu’il avait intégré dans son effectif, depuis le 5 août, les Espagnols et Italiens requis.
Ces maquisards pris et fusillés sur place étaient-ils les deux frères Giraud, dits morts « par maladresse » ? Ils auraient ôté leurs chaussures (contrairement aux recommandations des plus anciens) en se couchant et n’auraient pu fuir assez vite le matin. L’anecdote est-elle véridique ? La mort des deux jeunes gens est présentée avec prudence par le rédacteur des « Renseignements sur l’occupation de Peyrus » : des versions différentes lui ont été rapportées.
En plus des tués, deux résistants, Alfred Girard et Raymond Eynard sont capturés.
Les Allemands ont un mort et des blessés (en plus : un mulet pris dans les tirs).
L’incendie de La Vacherie – Les prisonniers – Le départ des Allemands, 14/15 août
[Sources. Sylvain Philibert Le Chaffal, août 44 inédit – Sylvaine Roux, entretien du 24 novembre 2021 – – J. La Picirella 1991, p. 372 – « Renseignements sur l’occupation de la commune de Léoncel » et « … sur la commune du Chaffal » ADD 133 J 33 – Lt Chrétien ADD 132 J 32 – Cne Brentrup ADD 132 J 11 -Cne Sabatier ADD 97 J 18.]
Les Allemands redescendent vers La Vacherie
Après avoir incendié la ferme du Chaffal; les Allemands redescendant vers La Vacherie par le creux du Pêcher, où ils brûlent toutes les fermes. Souvenirs de Luc Rousset, enfant domicilié à la Morelle : « Ils arrivent à la Morelle et brûlent la maison familiale. Mon père monte sur le toit pour couper les pannes de façon à ce que les écuries ne brûlent pas, mais les Allemands le menacent avec leurs fusils. Il a quand même le temps de sortir ses bêtes de l‘écurie. » La famille Rousset se réfugie à la ferme du Pêcher du haut.
Les soldats arrivent, écrit J. La Picirella, « jusqu’aux avancées de La Vacherie. À 16 h, pris sous le feu de la Cie Morin, les fantassins allemands se replièrent, non sans avoir auparavant pillé et brûlé les maisons de ce charmant village. » À La Vacherie, les habitations et la mairie-école, sont brûlées : la commune compte 16 immeubles incendiés en totalité et 4 partiellement. Les Allemands quittent le village et n’y repasseront plus.
Rose Bianchin et ses trois enfants sont emmenés avec les deux maquisards prisonniers jusqu’au village de La Vacherie.
Les prisonniers ne doivent pas baisser les bras. De temps en temps ils sentent la pointe d’une arme dans le dos ; Rose dit à ses filles : « serrez-vous contre moi » (elle avait peur que ses jumelles de 15 ans ne soient violées). Au village de La Vacherie, avec d’autres prisonniers, ils montent dans des camions, jusqu’à Saint-Jean-en-Royans, au clos Lamberton, où ils sont gardés et interrogés. Au bout de trois jours, les Allemands relâchent Rose et ses jumelles qui attendaient la mort en priant. Pour Rose, le fait d’arriver à communiquer (même difficilement) en allemand (sa langue natale, le slovène, possédant des mots proches de l’autrichien) avait aidé à leur libération. La famille pense aussi que le curé Grassot, parlant allemand, aurait contribué à cette libération. Sylvestre est emmené en camion : sur la route de Saint-Laurent-en-Royans, dans le virage de la scierie Pain, au Pont de Cholet, il saute du camion et s’échappe ; ceux restés dans le camion seront fusillés. De leur côté, les deux maquisards réussissent à s’évader eux aussi et rentrent au Chaffal retrouver leur compagnie le 14 août.
Un incendie est aperçu du Serre du Sac par la famille Bodin : Paul Bodin croit qu’il s’agit de son hôtel à Léoncel ; c’est en réalité La Vacherie qui brûle.
Une fusillade est entendue par une patrouille de la Cie Sabatier à l’Échaillon : c’est le combat du Chaffal. Au sud du Chaffal, quelques Allemands antinazis du « groupe de Combe Large », qui se cachent sur le Vellan, sont prévenus du combat du Chaffal par un habitant de Plan-de-Baix.
Le 10 août, le Cne Brentrup envoie une patrouille à La Vacherie : « Des ruines mais plus de boches. Routes coupées vers Limouches et Tourniol. Route libre sur Oriol-Saint-Jean depuis La Vacherie. »
La Cie Chrétien se replie du Vellan à Lozeron.
Le Cne Sabatier , toujours à Comblezine, note : « Les Allemands allant de Bouvante-le-Haut à Léoncel passent en lisière de la forêt où nous sommes. Il serait facile de tirer mais ils sont précédés d’otages civils et l’ordre est de se faire oublier. » Il envoie une patrouille vers le col de Tourniol rencontrer « une section de la Cie René qui s’est signalée » (ce qui signifie que des maquisards étaient encore présents à Combe Chaude / Tourniol). La descente prudente sur Léoncel montre que l’ennemi a abandonné le village. La maison Barraquand à Bérangeon a été incendiée. Un petit garçon s’enfuit à l’approche des maquisards ; un faucheur les renseigne : les Allemands sont partis vers midi, « mais peuvent revenir ! ». Contact est pris sans incident avec les maquisards de René : au retour, arrêt « dans une auberge » (donc à l’Hôtel du Bon Air, seul café de Léoncel) : les habitants racontent « les divers incidents de l’occupation : vols, pillage, incendie, terreur. »
Officiellement, trois immeubles ont été totalement incendiés dans la commune ; les souvenirs citent : la ferme du Grand Échaillon, la villa Bérangeon, la maison forestière de l’Échaillon. Les dossiers de la Reconstruction permettront de vérifier ce bilan.
L’historique de la 5e compagnie porte : « Échec d’une tentative pour réoccuper Léoncel et l’Échaillon. »
Le 12 août, une section de la Cie Sabatier s’installe au col de l’Échaillon. Le Cne Sabatier écrit au Cdt Antoine : « Suis toujours dans même région et continue travaux de patrouille en direction Saint-Jean – Saint-Nazaire – Bouvante – Tamée. Avons quelques accrochages qui se sont très bien passés. Prévois mouvement vers Tourniol. Limouches est-il tenu ? »
Le 13 août, patrouille à Fogès et Tamée : pas d’Allemands.
14 août : « La section a progressé vers Léoncel et effectue des tirs de harcèlement sur Tourniol ; les derniers Allemands quittent le col dans la nuit. La section de reconnaissance occupe la crête de Tourniol. » Le reste de la compagnie quitte Comblezine pour l’Échaillon.
Le 15 août, la 5e compagnie en entier est à Léoncel. Le Cne Sabatier écrit au Cdt Antoine : « Faisons mouvement sur Tourniol et Barbières suivant ordre reçu dès ce soir. (…) Renseignements par indigènes : 200 boches environ auraient attaqué un groupe au-dessus de Saint-Laurent-en-Royans. » Transport du « matériel sur chars à bœufs ».
Le 16 août, patrouille de la Cie Chrétien vers Peyrus : aucun Allemand ; prise de contact au col de Tourniol avec la Cie Sabatier qui pousse une reconnaissance vers Barbières.
Le 17 août, la Cie Chrétien entre en contact avec le Cdt Georges à Saint-Vincent-de-Charpey (Saint-Vincent-la-Commanderie).
Le 19 août, la Cie Sabatier descend dans la plaine, s’établit à Saint-Vincent. Le 22 août, elle monte une action contre les lignes allemandes. La gare d’Alixan, où stationne un train ennemi, est attaquée : la riposte est si vive que quatre maquisards sont tués, dont Gaston Samuel, de La Charge.
La Libération – Le passage des Américains, 29/31 août
Pas de souvenirs de manifestations ou célébrations particulières dans cette fin du mois d’août.
La crainte du retour des Allemands peut avoir limité la satisfaction de les voir partir. Paul Bodin estimait que son hôtel avait été épargné par les soldats en prévision de leur retour.
Le Cdt Legrand fait transiter par la route Saint-Jean / Léoncel / Plan-de-Baix les prisonniers allemands qu’il fait interroger à son P.C. de Montclar-sur-Gervanne puis interner au « camp de concentration » de Saint-Nazaire-le-Désert.
Les souvenirs d’Yves Bodin et de Guy Champéroux, jeunes garçons témoins, portent sur des scènes vécues plutôt dramatiques. On y ajoute le souvenir d’une exécution par les Résistants du charbonnier du Chaffal, G. Bianchin.
Souvenirs d’Yves Bodin
« Après la Libération, j’ai été le témoin de quelques faits qui m’ont marqué : un jour, alors que nous remontions avec mon père, en moto, de Peyrus nous avons entrevu une forme allongée recouverte d’une capote de couleur kaki dans le fossé ; je me suis approché, j’ai soulevé la capote : c’était le corps d’un prisonnier de guerre allemand qui avait dû tenter de s’évader.
J’ai vu passer, un autre jour, devant chez moi, un véhicule sur lequel était déposé un cercueil ; assis à côté se tenait un homme en civil, me voyant, il s’est mis à cheval sur le cercueil et en frappant violemment celui-ci de ses deux mains, manifestait un plaisir stupéfiant. Tristes événements dus à l’épuration probablement ; il m’a été raconté, par la suite, que mon grand-oncle de Gardy a bien failli en être la victime ; il a été arrêté chez lui par des pseudo-résistants (de la dernière heure ?) qui voulaient l’emmener pour que » leur » justice soit faite ; heureusement, en passant à Laffrey, le fermier s’est énergiquement opposé à eux ; il a été suffisamment persuasif pour qu’ils libèrent mon grand-oncle ; il lui a sûrement sauvé la vie. »
Souvenirs de la famille de G. Bianchin
On peut joindre à ce récit d’épuration extrajudiciaire le récit de l’exécution de Giovanni Bianchin, le charbonnier du Chaffal. G. Bianchin est arrêté le 20 août (vraisemblablement) par des maquisards, condamné à mort par « l’E.M. F.F.I. » « pour dénonciation de maquisards » et fusillé à Montclar-sur-Gervanne, sans doute le 25 août. Ces informations succinctes figurent dans différents dossiers constitués par A. Vincent-Beaume sur les victimes des Résistants. Mais aucun document n’a été trouvé, permettant à la famille de comprendre cette tragédie. Les souvenirs familiaux, les éléments recueillis auprès d’habitants de la commune, montrent des relations sans hostilité entre la famille Bianchin et les habitants de la commune, et aucune collaboration. Au contraire, Rose aurait sauvé deux maquisards en affirmant aux Allemands qu’ils étaient des bûcherons.
Le dossier ADD 97 J 3 « Correspondance active du Cdt Legrand » donne quelques éclairages sur la manière d’agir de l’E.M. F.F.I. à l’égard des Italiens et des prisonniers.
- Le 23 juillet, le commandant écrit au chef de poste de la scierie de Beaufort : « Je vous affecte comme bûcherons pour fabriquer du bois de gazo 2 Italiens dont vous recevrez les cartes d’identité ultérieurement. Ces individus travaillaient à Vassieux. Ils ont quitté cette localité après les premiers bombardements et ont été arrêtés dans la zone F.F.I. Drôme alors qu’ils avaient l’intention de se rendre à Crest. Vous les considérerez comme gardés à vue et je vous donne ordre de tirer sur eux s’ils cherchent à s’évader. »
- Le 18 août, le Cdt Legrand transfère son P.C. de L’Escoulin à Montclar-sur-Gervanne, au château de M. de Brie. Les ordres (14 août, 22 août) sont bien d’amener au P.C. les prisonniers. G. Bianchin a donc bien été traduit devant l’E.M. à Montclar.
G. Bianchin a-t-il été victime de l’italophobie de l’époque ? L’attitude des officiers FFI à l’égard des bûcherons italiens de Vassieux, des bûcherons espagnols et italiens du Chaffal, montre bien la méfiance qui régnait envers les étrangers ; pourtant les Espagnols étaient réfugiés républicains, donc peu suspects de collaboration ; les bûcherons italiens étaient des travailleurs libres (non requis comme les Espagnols) et originaires d’un pays co-belligérant depuis une année : il n’y avait aucune raison à les mettre en « résidence surveillée » ; la seule justification était la méfiance.
Pierre Bouchet, présent à Bacallier durant cette période, puis maire du Chaffal, a dit à S. Philibert : « Giovanni ne méritait pas d’être fusillé. À cette époque on tuait les gens comme des lapins. » P. Bouchet, en tant que maire, a refusé de déclarer la culpabilité de G. Bianchin à A. Vincent-Beaume.
[Sources. Correspondance active du Cdt Legrand (ADD 97 J 3) – Note du 8 juillet 1948 du maire de Montclar (ADD 68 W 1) ; courrier du 14 avril 1971 du maire de Montclar et compte rendu d’entretien avec le maire du Chaffal d’avril 1971 (ADD 132 J 41) ; fiche individuelle de G. Bianchin (ADD 132 J 88)].
Souvenirs de Guy Champéroux
[Souvenirs, 1994]
« Personne pour traire les vaches : le lait coule tout seul de leurs pis boursouflés et elles meuglent de douleur de ne pas être traites.
En Août 44, à Léoncel, personne n’apportera à boire aux moissonneurs, et l’hiver 44-45 sera difficile et rude, très rude. Puis le calme revient sur les cendres fumantes. Le petit Niçois de 12 ans s’occupe avec Annick et Yves Bodin, les enfants du facteur qui nous héberge.
Une nuit, vers le 25 août, gros vacarme : les blindés américains passent à Léoncel ! C’est la fête et pendant plusieurs jours nous essayons notre petit vocabulaire anglais, découvrons les rations militaires et les sachets individuels de café soluble « NESCAFÉ » ; il y a de longues années que personne n’a bu de vrai café à Léoncel, seulement de l’orge grillé… tandis que les G.I. savourent lait frais, beurre et vin rouge. »
[Souvenirs, 2021]
« Vite, on ouvre la fenêtre et nous voyons quelques blindés américains dont les chenilles métalliques font ce tintamarre. Tout le monde dehors ! Les Américains nous donnent des chocolats, des cigarettes et des pochettes contenant une poudre totalement inconnue : c’était du café soluble, du « NESCAFÉ » !!! Aubaine pour les adultes qui, en guise de « café », buvaient de l’orge grillé depuis au moins deux ans ! Nous apportons aux G.I. du lait frais, du beurre, de la charcuterie, du vin, du pain (à Léoncel nous faisions le pain, le vrai !). Les tanks américains s’en vont et dans l’après-midi arrivent des véhicules de reconnaissance avec quelques hommes à bord. Nouvel échange de cadeaux ; le chauffeur de l’un de ces véhicules nous demande la permission de bivouaquer et il va s’installer pour la nuit à « la source », face à l’hôtel. J’avais 12 ans, quelques mois d’apprentissage de la langue anglaise, j’essaye quelques phrases pour converser avec ces gentils et sympathiques soldats américains ; Yves et moi leur apportons des vivres fraiches, bienvenues, en remplacement des boites de rations militaires. Le lendemain matin ils partirent, en direction de Saint-Jean-en-Royans. »
Le premier passage d’une unité américaine à Léoncel s’est fait dans la nuit du 29 au 30 août. Il s’agissait du 2e bataillon du 141e régiment d’infanterie de la 36e division d’infanterie de l’US Army [1]. « Le 2e bataillon reçut l’ordre [le 29 au soir] de faire mouvement immédiatement via Crest, Beaufort, Saint-Jean et Saint-Nazaire avec consigne d’attaquer Romans, qui est situé sur l’autre rive de l’Isère, à partir de Bourg-de-Péage ; mais de n’attaquer que sur un ordre radio signalant l’artillerie en position sur la rive sud de l’Isère pour appuyer l’attaque. » Dans la matinée du 30 août, le bataillon était en place à Bourg-de-Péage.
Les deux autres bataillons du régiment ont utilisé la route Crest-Chabeuil pour se diriger vers Bourg-de-Péage. Pourquoi un bataillon est-il passé par Léoncel ? Les Résistants avaient informé les Américains de la présence d’Allemands à Chabeuil ; sans doute avaient-ils précisé que la route Crest-Saint-Jean était libre et permettait d’arriver à Bourg-de-Péage par l’est.
Les unités qui sont passé à Léoncel les jours suivants allaient vers Grenoble : « L’itinéraire pris par le 2e bataillon fut recommandé par le commandant de division au VIe corps pour la 3e division, afin de faire route vers la région de Grenoble. »
[Source : « Headquarters 36th infantry division – Operations in France – August 1944 – Annex #6 – 141st infantry regiment ». Rapport dactylographié, p.25 / 26. Document communiqué par F.X. Morin de l’association Patrimoine Charpey – Saint-Didier.]
Blason du 141e régiment d’infanterie de l’armée des États-Unis
La fleur de lys symbolise la présence en France du régiment pendant la première Guerre Mondiale. Le régiment dépendait de la 36e division d’infanterie dite « Texas Division ». Il avait participé, les jours précédents, à la bataille de Montélimar. Il a été décoré de la Croix de guerre française pour son action dans les Vosges en septembre 1944.
Source Wikipedia
BIBLIOGRAPHIE
Bibliographie ne portant que sur les ouvrages cités, comprenant des passages sur Léoncel et Le Chaffal.
- Bouvier, Loulou – Dis, Grand-Père, c’était quoi ta colo ? Éd. Deval, Romans, 2001.
- Collectif – Pour l’amour de la France – Drôme – Vercors 1940-1944, Éd. Peuple libre, Valence, 1989.
- Collectif (ANPCV) – Le Vercors raconté par ceux qui l’ont vécu, ANPCV Grenoble 1990.
- Collectif – Des indésirables – Les camps d’internement et de travail dans l’Ardèche et la Drôme durant la Seconde Guerre mondiale. Éd. Peuple libre et Notre Temps 1999.
- Collectif (AERD) – La Résistance dans la Drôme, 2007, CD-Rom, 2007.
- Collectif – Vercors de mille chemins – Figure de l’étranger en temps de guerre. CPIE Vercors – Comptoir de l’édition 2013.
- Collectif (Rochefort-Samson Patrimoine) – 1939-1945 Drômois dans la tourmente, Éd. Peuple libre, Valence, 2015.
- Collectif – Subir… mais lutter – Drômois, Drômoises dans la seconde Guerre Mondiale, Éd. Mémoire de la Drôme, Bourg-lès-Valence, 2017.
- La Picirella, Joseph – Mon journal du Vercors, autoéd. 1982.
- La Picirella, Joseph – Témoignages sur le Vercors, autoéd. 1991.
- Lambert, Pierre – Les Lambert, chronique d’une vie familiale, Éd. Peuple libre, Valence, 2015.
- Lassus Saint-Geniès (De), Jean-Pierre – Saint-Prix (De), Pierre – Combat pour le Vercors et pour la liberté, Éd. Peuple libre, Valence, 1982.
- Lieb, Peter Vercors 1944 – Resistance in the French Alps Éd. Osprey Publishing, Oxford, 2012.
- Micoud, Lucien – Nous étions 150 maquisards. Éd. Peuple libre, Valence, 1981.
- Reynaud, Jean – Barraquand, Michel – Lente autrefois Éd. Bibliothèque municipale, Saint-Jean-en-Royans, 2006.
- Samuel, Raymond – Habitants et maquisards du Vercors – Recueil de témoignages. Autoédition, 2018
- Wyler, Christian – La longue marche de la Division 157 Éd. Grancher, Paris, 2004.