L’INTERVENTION DE FREDERIC BARBEROUSSE.

9 août 1178 : DIPLOME DE L’EMPEREUR FREDERIC 1er (BARBER0USSE) ACCORDANT LE PRIVILEGE E SA PROTECTION AU MONASTERE ET A SES DEPENDANCES.
(Traduction de Jacques Michel, ancien professeur du lycée de Villefranche sur Saône).
C’est, fort de la bienveillance divine et sous l’égide de la Sainte Trinité, une et indivisible, que Frédéric, illustrissime empereur des Romains, s’exprime de la sorte. Si nous aspirons à veiller aux intérêts des églises du Christ et si nous les entourons de notre indulgente considération, c’est que nous croyons être secondés auprès du Roi des rois par les prières de nos frères qui y sont au service de Dieu, et ainsi être encouragés à conduire d’une manière plus bénéfique les affaires de l’Empire, sans nous priver de la félicité du royaume céleste. Dès lors que, tous ceux qui nous ont fait allégeance, soient donc présentement informés des faits suivants : ayant en effet donné une suite favorable à la demande formulée par le révérend abbé Ponce, d’une part nous avons pris l’engagement, concernant le monastère qu’il dirige, à savoir l’église Sainte Marie de Léoncel , de le placer sous notre protection s’appliquant tant aux biens et aux personnes qu’aux droits qui leur sont afférents, mais incluant aussi tout ce que cette même église, ayant bénéficié de largesses provenant d’une source religieuse ou nobiliaire, voire émanant de simples fidèles ou résultant de quelque titre de propriété, a pu légalement posséder et détenir jusqu’à ce jour, et d’autre part, fort de la garantie de notre autorité impériale, nous promettons pour tout ce qu’elle pourrait à l’avenir acquérir dans de justes conditions, de lui accorder un droit de propriété irrévocable dans le temps. Et, à cet égard, il nous a paru convenable et opportun de désigner d’une manière précise par leur dénomination appropriée certains des éléments auxquels il vient d’être fait globalement allusion, à savoir l’étendue du terrain sur lequel a été bâtie la maison précitée, l’église et le village de Saint Roman avec tout ce qui s’y rapporte, les bâtiments agricoles du Conier, de la Voupe, de Parlanges, de Lens, et Combe Chaude avec tout ce qui s’y rapporte, de Valfanjouse et de la montagne de Musan, la Chauméane, Charchauve, le cellier de Saint Julien et tous les pâturages devenus jusqu‘à ce jour la propriété de cette même église ci-dessus mentionnée. En outre, pour témoigner de nos bienveillantes dispositions nous accordons aux frères de cette église en question le privilège de n’avoir à s’acquitter d’aucun droit de passage, ni de quelque autre redevance sur le territoire des archevêchés d’Arles et de Vienne et, conjointement, des églises qui en dépendent, mais de pouvoir y circuler librement avec leur fourniment. Nous prescrivons par ailleurs, de la manière la plus ferme, qu’aucun individu qu’il s’agisse de quelqu’un d’importance ou de piètre condition, d’appartenance séculière ou ecclésiastique, qu’aucune communauté, qu’aucune seigneurie, qu’aucun corps constitué ne se mette en tête de vouloir percevoir quelque contribution ou imaginer quelque imposition sur les biens des frères de l’église précitée et de chercher à les accabler en les soumettant à des dépenses injustifiées : en conséquence de quoi, s’il advenait que quelqu’un se permit d’aller à l’encontre de nos injonctions, qu’il perde le privilège de notre faveur et soit condamné à une amende de vingt livres d’or dont le versement sera partagé pour moitié entre les caisses du trésor impérial et l’abbé de cette même église. Et enfin que ces décisions irrévocables soient à l’avenir pleinement observées au profit de cette même église, nous laissons trace de ce privilège en le consignant par écrit et nous donnons à cet acte une assise plus solide en y apposant notre sceau qui fait autorité. De cet acte furent témoins Robert, archevêque de Vienne, Odon, évêque de Valence, Hugues, abbé de Bonnevaux et d’autres encore. Le tout frappé du sceau de Frédéric, empereur incontesté des Romains., quant à moi, Godefroy, simple greffier au service de Robert, archevêque de Vienne et sous les ordres du greffier en chef du Royaume Burgonde, j’en ai contrôlé et supervisé l’ensemble : Document établi en cette année 1178, à dater de l’incarnation de notre Seigneur, sous le règne de Frédéric, brillantissime empereur des Romain, tout auréolé de gloire, alors qu’il en était avec bonheur devenu roi depuis 27 ans, puis empereur depuis 24 ans. Diplôme rédigé à Valence et daté du cinquième jour avant les ides du mois d’août.

On note : que le terme d’église est employé aussi bien pour désigner le monastère que pour l’église paroissiale de Saint-Roman et que l’abbé de Bonnevaux, ancien abbé de Léoncel Hugues de Châteauneuf est aux côtés de l’Empereur.
L’abbé de Léoncel était alors Ponce (1173-1178) dont l’abbatiat fut marqué aussi par les donations de Lambert de Flandènes, de Guidelin de Royans, ainsi que pas une plus forte implantation en plaine (avec l’aide de l’évêque Odon) et l’acquisition de droits de pâturage sur la montagne de la Chauméane et de Turon , ainsi que l’accès à des terres entre le Chaffal et le col de Tourniol.

Ce texte nous rappelle que le Dauphiné et le Valentinois et Diois ont été intégrés dans le Royaume de Provence, puis dans le second royaume de Bourgogne et qu’ils étaient devenus vassaux du Saint Empire Romain germanique. Nous savons que, parmi d’autres, les évêques de Valence et de Die étaient comtes d’Empire pour le territoire de leur ville épiscopale. Cet Empire fondé par Othon le Grand en 962 et dissous par Napoléon en 1806 tentait de reprendre l’héritage de l’Empire romain restauré par les Carolingiens et avait donc l’ambition de regrouper les Etats et principautés de l’occident chrétien, mais il dut se limiter principalement à l’Allemagne et l’Italie. L’apogée se situe sous les Hohenstaufen dont Frédéric Barberousse né en 1122 et mort par noyade dans un petit fleuve d’Asie Mineure, en 1190, au cours de la troisième croisade à laquelle il participait de concert avec Philippe Auguste et Richard « cœur de Lion ». Cette croisade des « rois » avait l’ambition de répondre à la prise de Jérusalem par Saladin en 1187.

leoncel-abbaye-55.1 Ce texte pose par ailleurs le problème des relations entre l’abbaye et le quartier de Saint-Roman. Dans un excellent article de sa série « SITES DISPARUS » dans Etudes Drômoises N° 25 de mars 2006, Jean Noël Couriol souligne d’abord que la proximité de Saint-Roman pose le problème du qualificatif de « désertique » souvent attribué au site de Léoncel. puis il écrit :
«Ensuite, le quartier de Saint-Roman, sur la montagne de Combe Chaude, est mentionné à de multiples reprises au cours des XII° et XIII° siècle. Il est qualifié successivement de territoire (territorium), baume (balma), carrefour (trivium) et situé au-dessus de la Baume et du chemin qui descend à Châteaudouble.
L’un des actes les plus importants est celui de 1185 où le seigneur Lantelme de Gigors rappelle que son père avait donné à l’abbaye sa part de dîme que devait l’église e Saint-Roman, celle-ci devait donc être une fondation laïque. Deux autres seigneurs de la vallée de la Gervanne prétendent d’ailleurs avoir des droits sur Saint-Roman et finissent par les vendre aux moines : Lambert d’Eygluy en 1202 et Ponce de Mirabel en 1213.
Une transaction du siècle suivant apporte en 1362, une précision inattendue : la paroisse de Saint-Roman dépend alors du prieuré Saint-Géraud de Saillans. Les moines lui doivent une redevance annuelle de 32 sétiers de froment et autant de seigle.
En 1446, le prieur de Saillans, Louis de Pinet accepte de la réduire, à cause « de l’aridité du sol de cette paroisse ». L’année suivante, la révision de l’impôt dans le Mandement d’Eygluy confirme cette indigence : Saint Roman ne compte qu’un seul habitant, Ponce Arnaud « tout à fait misérable ».
C’est sans doute l’époque de l’abandon. Les terriers ne mentionnent ensuite que la « plasse du monastère » et le bois de Saint Roman. »

leoncel-abbaye-55.2L’important conflit opposant l’abbaye à des éleveurs du Mandement de Charpey en 1284, à propos du pâturage estival sur le plateau de Combe Chaude, ne donne aucune précision : Saint-Roman n’est pas cité. Les historiens de Léoncel ont parfois évoqué un éventuel « déguerpissement » provoqué par les moines de Léoncel de la population du plateau de Combe Chaude pour favoriser leur propre grange. Le village de Saint Roman, dont la situation exacte pose encore problème, même si nous sommes plusieurs à avoir vu le tas de pierres qui constitue le site que la tradition attribue à cette église (ou chapelle) paroissiale, a pu disparaître tout simplement de son propre échec. En tout cas les cisterciens ont sans aucun doute reconnu la fertilité de la « terra rossa » de la vaste doline de Combe Chaude, à proximité de laquelle, ils ont créé une grange. Après le temps du faire valoir direct, le site a été travaillé par des villageois de Châteaudouble et dans le cadre de contrats d’albergement, de droit féodal, accordés par l’abbaye de Léoncel, par des paysans venus d’ailleurs, par exemple de la Vacherie. Ces derniers provoqueront des conflits entre les moines et la communauté villageoise de Châteaudouble, en refusant de participer à l’impôt de la taille, notamment au XVII et XVIII° siècles. Au XVIII° siècle aussi, les moines de Léoncel étaient payés (60 livres) par le prieuré de Châteaudouble, dépendant de l’abbaye de Saint-Ruf , pour animer et administrer la paroisse de Saint Roman.

1er juillet 2013 Michel Wullschleger.