Entre Velay et Vivarais, châteaux et monastères

Les 16 et 17 juin 2022, les Amis de Léoncel proposaient à leurs adhérents un périple de deux jours en Haute-Loire et en Ardèche. Trente-six participants ont pris le départ le jeudi matin à bord d’un autocar de la société Faure Tourisme à Portes-lès-Valence. Le conducteur, Roland, était heureux de retrouver notre association qu’il avait déjà transportée dans le passé. Certains membres le connaissaient d’ailleurs fort bien. Nous aurons eu droit durant tout le voyage à toutes ses attentions et à une conduite d’une exceptionnelle douceur malgré des routes souvent difficiles.

Sauf mention contraire, les photos sont d’Alain Ainardi.

Le Monastier-sur-Gazeille

Notre première étape était le Monastier-sur-Gazeille, où nous attendait Bernard Sanial, président de la Société Académique du Puy-en-Velay et de la Haute-Loire. Cette société savante, fondée en 1799, publie tous les ans un « bulletin historique ». Depuis peu, nous procédons à un échange de publications avec elle.

Histoire

L’intervention de M. Sanial a d’abord porté sur l’histoire de l’ancienne abbaye bénédictine de Saint Chaffre (ou Saint Théofrède). Après quelques mots sur l’historicité contestée du fondateur, nous sommes remontés jusqu’au Ve siècle. Vivait alors à cet endroit une communauté probablement érémitique. Il faudra attendre trois ou quatre siècles pour qu’une véritable communauté religieuse organisée autour de la règle de Saint Benoît apparaisse, issue du monastère de Lérins.

A partir du début du IXe siècle, le monastère connaîtra une très importante expansion. Plusieurs abbés seront évêques du Puy. L’établissement possèdera plus de 200 dépendances, églises, prieurés, granges. S’en suit une longue histoire de relations plus ou moins faciles avec les seigneurs locaux et les autres institutions religieuses : La Chaise-Dieu, la Chartreuse de Bonnefoy, Mazan…

La Guerre de Cent-Ans, et surtout ses suites, puis les guerres de religion, vont amorcer le déclin de l’abbaye. Elle disparaîtra définitivement au moment de la révolution. Elle était alors déjà fortement affaiblie.

Architecture

Nous avons ensuite visité la très belle église abbatiale, bâtie en pierres locales polychromes. On y trouve des roches volcaniques allant du rouge au noir, et des arkoses (sortes de grès) très claires.

Les parties les plus anciennes de l’édifice sont du XIe siècle, avec de nombreux remaniements ultérieurs. L’église surprend par ses dimensions, en longueur comme en hauteur, qui en font la deuxième plus importante de Haute-Loire après la cathédrale de Puy-en-Velay. Les spécialistes de l’histoire de l’art la considèrent comme une des plus belles églises du centre de la France.

Notre guide nous a fait remarquer certains détails architecturaux de décor remarquables.

Forteresse de Polignac

Après un déjeuner bienvenu dans un restaurant à Blavozy, à quelques kilomètres à l’est du Puy-en-Velay, nous avons pris la direction de la forteresse de Polignac, toute proche du Puy également, mais au nord-ouest.

La butte volcanique sur laquelle elle est située confère au site une valeur défensive remarquable. Il fut occupé depuis fort longtemps, mais c’est à la fin du XIe siècle que des vicomtes belliqueux s’en emparent et prennent le nom du village, Polignac. L’endroit appartient depuis sans discontinuer à la même famille.

L’accès, en montée sous le soleil, fut un peu difficile pour certains, l’autocar n’ayant pas pu approcher de l’entrée contrairement à ce qui était annoncé. Malgré ce désagrément, la plupart des participants a pu profiter d’une intéressante visite, sous la conduite d’un jeune guide passionné.

Les Amis de Léoncel sur le chemin de ronde… (Photo Marinette Manin)

L’intérieur du donjon

Château d’Arlempdes

Quelques efforts attendaient encore notre groupe à Arlempdes, à une vingtaine de kilomètres au sud du Puy-en-Velay. Nous y fûmes accueillis par Béatrice Tardieu, administratrice de l’association qui a racheté le château et qui gère désormais le site.

Après un rapide exposé au niveau du village, de l’église et d’un beau calvaire en granit évoquant irrésistiblement la Bretagne, il nous a fallu grimper sur la butte que domine la forteresse.

La plus ancienne mention écrite du château remonte à 1267, dans une bulle du pape Clément IV qui le décrit comme fief des barons de Montlaur, relevant des évêques du Puy.

Toutefois, le style de la chapelle permet de la dater plutôt du XIe, voire du Xe siècle, ce qui montre l’existence d’un lieu fortifié depuis au moins cette époque. Davantage de détails sont sur ce site : https://www.chateau-arlempdes.fr/

Le point de vue depuis la plateforme, qui domine la Loire de plus de 80 mètres, est saisissant.

Madame Tardieu, originaire du lieu, était intarissable, et nous aurions pu l’écouter encore longtemps, tant ses explications et ses anecdotes étaient intéressantes. Mais il était tard, et il nous a fallu redescendre vers notre autocar et prendre la direction de notre hôtel, situé à Langogne, à une vingtaine de kilomètres de là.

Abbaye de Mazan

Le lendemain matin, tout le monde était à l’heure pour embarquer dans le car, cap à l’est, en direction de Mazan-l’Abbaye. Quarante-cinq minutes furent nécessaires pour y parvenir. Nos hôtes, Anne-Marie Michaux et Laurent Haond, venus de loin spécialement pour nous accueillir, étaient déjà là. Ces deux personnes, qui travaillent à l’édition du cartulaire de l’abbaye, ou Livre des Compositions, avaient déjà prononcé une communication sur ce sujet lors de notre colloque d’Alixan en septembre dernier, reprise dans le Cahier de Léoncel n°31 paru début avril 2022.

Après quelques mots de bienvenue, Laurent Haond s’est livré à l’exercice difficile de retracer les neuf siècles d’histoire de l’abbaye en quelques minutes…

Nous retiendrons que Mazan fut fondée en 1120 par quelques moines cisterciens venus de Bonnevaux, au diocèse de Vienne, dans un lieu sauvage et rude, à 1100 m d’altitude, mais abondamment pourvu en eau. Ce lieu se nommait « Mas d’Adam », contracté au fil du temps en « Mazan ». Pour mémoire, Léoncel, également issue de Bonnevaux, a été fondée en 1137.

L’établissement va connaître une expansion considérable, permettant notamment la création d’abbayes-filles célèbres comme Sylvanès, Sénanque ou Le Thoronet. A l’apogée, on estime que 200 à 300 personnes pouvaient vivre sur le site de Mazan : moines profès, convers, employés laïcs.

Mais à partir de la deuxième moitié du XVe siècle, la mise en place de la commende va amorcer le déclin de la communauté, la perte de ferveur religieuse, la diminution du nombre de frères et le délabrement progressif des bâtiments. Tant et si bien qu’au moment de la Révolution, il n’y a plus que six moines. Les bâtiments sont alors confisqués et transformés en annexes agricoles et en carrières de pierres.

Dans la nef de l’église abbatiale

Toutefois, jusqu’au début du XXe siècle, les voûtes de l’immense église abbatiale restaient encore en élévation, jusqu’à une décision malheureuse de la municipalité de l’époque de les faire dynamiter, officiellement pour des raisons de sécurité.

Après ce rapide survol, nos guides nous montrèrent les principaux vestiges remarquables : cellier, cloître, logis abbatial, etc.

L’église paroissiale bâtie au XIXe siècle avec des pierres issues des ruines de l’abbaye
(Photo Sylvie Benezeth)

La ferme de Bourlatier

Toujours sous la conduite de nos guides du matin, nous arrivons en fin de matinée à la ferme de Bourlatier, à quelques kilomètres à peine au sud du mont Gerbier-de-Jonc.

Il s’agit d’une très grande ferme implantée depuis le XVIIe siècle sur un territoire extrêmement hostile, à plus de 1300 m d’altitude. Il faut imaginer le lieu pris dans la neige de la mi-octobre à la mi-mai, avec le vent très violent enfouissant parfois complètement le bâtiment sous une épaisse couche blanche.

La construction est l’œuvre de la famille de Lestrange, qui en avait bâti trois autres sur ses terres autour de son château. Le château a disparu, mais la ferme est restée…

Elle a été superbement restaurée grâce à son rachat par l’association Liger, dont Laurent Haond est président, dans les années 1980. Les travaux ont été rendus possibles avec l’aide d’acteurs publics, dont le Conseil départemental de l’Ardèche et de mécènes privés. Elle sert aujourd’hui de lieu d’expositions diverses.

L’étable

Le bâtiment est très vaste, une cinquantaine de mètres de long sur plus de 12 m de large et se développe sur deux niveaux : en bas l’étable, avec à une extrémité l’habitation des fermiers (pièce unique), et en haut une immense fenière pour pouvoir nourrir le troupeau de plusieurs dizaines de bêtes pendant tout l’hiver. La couverture est réalisée en lauzes de phonolithe, qui représentent, avec les bois qui les portent, une charge énorme de l’ordre de 500 kg/m², mais qui permet de résister au vent.

Les piliers de l’étable sont des morceaux d’orgues basaltiques bruts pris dans les environs.

Orgue basaltique utilisée comme pilier de soutènement

Une file de ces piliers supporte sur toute la longueur une énorme poutre de bois, appelée « chareyre » sur laquelle s’appuie la structure du plancher de la fenière.

Il faut monter à l’étage pour bien prendre conscience de l’importance du volume de la réserve de foin et de paille :

La fenière

On peine à imaginer aujourd’hui la vie des familles qui habitaient là, avec des naissances, des enfants, des vieillards, des malades… un pauvre éclairage, un froid glacial dès qu’on s’éloignait de quelques mètres de l’immense cheminée où brûlaient des troncs entiers.

Le Cheylard

Un copieux repas nous attendait à l’auberge de Bachasson, à quelques kilomètres de là, où le service fut un peu long à cause de l’affluence liée à la course cycliste de « l’Ardéchoise« . Ce fut alors l’heure du retour vers la Drôme, avec une ultime étape prévue au Cheylard.

Le Cheylard où nous attendait Émilie Comes-Trinidad, jeune historienne originaire du lieu, pour une visite du centre ancien avec pour thème la formation du bourg castral à partir du XIIIe siècle.

Comme en beaucoup d’endroits, le bourg s’est en effet formé autour d’un château, dont il ne subsiste guère qu’une tour.

Notre visite va nous permettre de découvrir des bâtiments ou parties de bâtiments de différentes époques et notre guide nous montrera les détails architecturaux, notamment sur les encadrements des portes et fenêtres qui permettent de les dater.

La forte chaleur, associée à la fatigue accumulée depuis la veille, obligèrent notre guide à modifier quelque peu le parcours initialement prévu, afin de rester le plus possible aux abords de la rivière « La Dorne » et dans des zones bien ombragées. Malgré ces précautions, quelques personnes ont dû renoncer à suivre la visite et patienter en se rafraîchissant jusqu’au retour du groupe.