Hommage à Michel Wullschleger

Notre ami Michel Wullschleger est décédé le 30 avril 2022. Administrateur honoraire des Amis de Léoncel, il avait été le pilier de notre association, l’instigateur de ses activités et de ses recherches. Homme de très grande culture, il était d’un abord ouvert et confiant, attirant toutes les sympathies. Il était connu et très estimé des habitants de Léoncel, Le Chaffal, Plan-de-Baix, où il comptait de nombreux amis.

Ginette Guillorit, membre du Conseil d’administration des Amis de Léoncel, rend hommage à Michel.

Photo de titre : fonds Académie drômoise, 2006

Combien de « sociétés savantes » s’intéressant à l’histoire civile ou religieuse et à la géographie se sentent aujourd’hui un peu orphelines après le décès de Michel Wullschleger. Il a signé ou cosigné de nombreuses publications, participé à l’élaboration de plusieurs ouvrages collectifs. La plupart traitent de thèmes portant sur le Vercors : sa géographie, ses paysages, sa population… Ses recherches dans les archives ont aussi largement contribué à la connaissance de l’histoire des communautés religieuses établies dans ces montagnes au Moyen Âge : la chartreuse des Écouges, la chartreuse de Bouvante, l’abbaye cistercienne de Léoncel, le prieuré casadéen du Chaffal…

Le chercheur et l’enseignant

Le chercheur actif était aussi un enseignant respecté et chaleureux, père d’une famille de cinq enfants.  Ses quatorze petits-enfants réunis autour de son cercueil le 13 mai 2022 ont retracé sa vie, en la chantant sur l’air de la chanson de Georges Brassens « Les Copains d’abord » ; un titre qui atteste combien Michel était un homme chaleureux.

Michel voit le jour le 29 novembre 1931 à Lyon. Son parcours scolaire le conduit jusqu’à l’Agrégation d’Histoire. Après avoir été élève, lycéen, étudiant, le voilà assis au bureau du professeur. Il enseigne notamment au lycée Ampère à Lyon (classe préparatoire HEC), avant d’être promu en classe de Khâgne au lycée Édouard Herriot pour y enseigner la géographie. Il confiera plus tard avoir eu un moment d’inquiétude devant un tel changement de poste ; mais très vite il sait sensibiliser ses élèves au fait que la géographie conditionne l’histoire – cela, il aimait à le souligner.  Le professeur de géographie ne se contente pas de cours magistraux ; il faut voir, sur place. Alors il emmène ses étudiants dans le Vercors, parfois pour plusieurs jours et tout le groupe loge chez le prof à Plan-de-Baix.  

Un ancien élève, aujourd’hui professeur d’histoire à la faculté de Nantes, témoigne : « sous l’effet de la force de son verbe et de son charisme, l’espace, le paysage, le relief vivaient. » Michel savait appréhender un paysage comme peu savent le faire ; il a fait naître des vocations. Au fil de conversations avec lui, nous apprenons que Raymond Domenech, Michel Noir, ont été ses élèves. Lors d’une rencontre entre l’ancien maire de Lyon et son ancien professeur, le premier dira au second « Un professeur comme vous, ça ne s’oublie pas ».

L’Ami de Léoncel

L’Association des Amis de Léoncel n’oublie pas non plus combien elle lui est redevable : les colloques, les cahiers, les marches commentées… autant d’activités mises en place à l’instigation de Michel Wullschleger et qui connaissent aujourd’hui un franc succès. L’association a été fondée en 1974, à l’initiative de Marie Françoise Giraud. Elle avait appartenu à l’ordre des Dominicaines et l’évêque de Valence lui avait demandé de s’installer à Léoncel pour tenter de redonner vie à ce site. L’église abbatiale, inscrite en 1840 par Prosper Mérimée sur la première liste des monuments pris en charge par l’État (qui deviendra la liste des Monuments Historiques) est en très mauvais état. Dix ans plus tard, Marie Françoise Giraud demande à Michel Wullschleger de prendre en charge la recherche historique sur laquelle elle avait commencé à travailler. La famille Wullschleger passant l’été et autres vacances scolaires à Plan-de-Baix, l’enseignant mettra à profit ces périodes pour coiffer la casquette de chercheur. Depuis 1971, il était déjà membre du Comité Scientifique du Parc du Vercors et quelques années plus tard intègre celui de la Réserve des Hauts Plateaux.

Le premier colloque est organisé en 1984, sur le thème « Les moines et l’élevage » ; il se déroule dans l’abbatiale. Cette même année, le cinquième Cahier culturel du Parc du Vercors est publié et fait naitre dans l’esprit de « l’historien de Léoncel » l’idée d’une publication annuelle des Cahiers de Léoncel. Durant 25 ans, ils seront publiés sous l’égide de la Société d’Archéologie et de Statistique de la Drôme (fondée en 1866), puis directement par les Amis de Léoncel. Les colloques sont l’occasion d’inviter d’autres chercheurs à présenter leurs travaux ; Michel s’intéressait particulièrement aux relations entre les communautés monastiques et le monde séculier, aux conflits à propos du domaine temporel, à l’évolution du mode d’exploitation de ce domaine…

Le premier des Cahiers de Léoncel

L’homme de partage et d’amitié

Le géographe tenait à partager son savoir avec les adhérents, invités à parcourir, dans des marches commentées passionnantes, les anciennes possessions des moines sur Ambel, Combe Chaude, Valfanjouse… le but était bien une recherche de terrain, pour illustrer les informations d’archive.

Et lorsque l’Association a créé son site internet, Michel a vu là une opportunité pour partager son savoir avec toutes celles et ceux qui le souhaitent : ce sont les Chroniques en accès libre sur le présent site, dans la rubrique Ressources.

Michel Wullschleger tenait aussi à entretenir des relations avec les habitants de la commune de Léoncel. Dans les années 2000, accompagné de son ami Pierre Vidal qui était alors président de l’Association, il a frappé aux portes, discuté, donné un cahier… et organisé une Veillée de Léoncel réservée aux habitants de Léoncel et des environs, réunis autour des verres de vin blanc ou de clairette et de la pogne…

Michel, c’était le savoir, la chaleur humaine, le plaisir de partager, autant de qualités qui ont contribué à entretenir des relations avec les sociétés d’histoire drômoises (SAHGD – La Revue drômoise, AUED – Études drômoises), du Royans, de l’Isère (La Pierre et l’Écrit, l‘Association française des amis des Antonins), et même au-delà du Rhône (Revue du Vivarais), avec le Centre Européen de Recherches sur les Congrégations Religieuses (C.E.R.C.O.R.). L’université de Lyon II, celle de Picardie, l’ont sollicité pour diverses conférences … Ce souci de partage, il l’a eu en transmettant ses documents de recherche à diverses personnes et institutions, dont les Amis de Léoncel (qui déposeront aux Archives municipales de Romans ses dossiers classés), et en donnant à Mémoire de la Drôme un exceptionnel fonds de photographies.

C’est encore en 1984 que Michel rencontre Ulysse Richaud (1903 – 2000), Berger, poète, gentilhomme du cœur et de l’esprit (titre de l’ouvrage publié en 2007). Comme Michel, Ulysse est passionné d’histoire, une profonde amitié se tisse entre les deux hommes ; ils finissent par bien se connaitre et s’apprécient. Au mois de novembre 2000, lorsque Michel arrive à l’hôpital de Die pour rendre visite à son ami, il apprend par deux infirmières qu’Ulysse est décédé la nuit précédente. Michel écrit en 2007 : « Jai pris le temps de leur parler de lui, de tout ce pan de sa personnalité qu’elles n’avaient pu percevoir« .     

Michel Wullschleger félicitant Ulysse Richaud lors de la remise des Palmes académiques à celui-ci, 6 avril 1997
Illustration extraite de Ulysse Richaud, Berger, poète, gentilhomme du cœur et de l’esprit,
Ed. Association des descendants des Richaud et des Bouillanne, 2007 (p. 3)

Outre les articles publiés dans les cahiers de Léoncel, Michel a écrit tant de fois qu’il est impossible de citer toutes ses publications. Notons quelques ouvrages majeurs Le Vercors, forteresse ouverte (2004) ; Vercors, pays, paysans, paysage (1990, collaboration Jean Claude Duclos) auxquels s’ajoutent bien des articles d’ouvrages collectifs Au cœur du pays de la Gervanne (1975), L’homme et le mouton (1991) …

Autant d’écrits ne pouvaient qu’aboutir à son entrée à l’Académie Drômoise en 2006.

Autant d’écrits qui feront le bonheur des futurs chercheurs ; Michel, ce que vous avez semé en d’autres germera.                                                     

Ginette Guillorit