Création de la commune de Léoncel en 1854 – Les pétitions

La commune de Léoncel a été créée en1854. C’est une période tardive, puisque la très grande majorité des communes a vu le jour en 1790. Jusqu’en 1854, les habitants du territoire devenu « commune de Léoncel » dépendaient de trois communes différentes : Le Chaffal, Châteaudouble et Oriol-en-Royans. Ces habitants relevaient d’une seule paroisse, sise à Léoncel, utilisant l’ancienne église abbatiale comme église paroissiale. La paroisse est devenue commune à la suite de deux procédures. La première a été entamée en 1837, s’est terminée négativement en 1839 : refus du préfet (« Ce projet apporterait la perturbation dans l’administration des communes... »), du Conseil d’arrondissement (« Il est dans l’intérêt d’une bonne administration de réunir plutôt que de séparer... ») et du Conseil général (« tous les inconvénients, les embarras inextricables dans l’exécution… »). L’autre procédure, commencée en 1845, s’est conclue favorablement en 1849 par l’accord du Conseil général, suivi, cinq ans plus tard, de la loi du 20 avril 1854. L’utilisation des biens communaux est précisée dans le texte : ce point a sans doute été la condition de l’accord des communes du Chaffal et d’Oriol, possédant des communaux.

L’actuelle commune de Léoncel est donc directement issue de la communauté (au sens actuel du terme) des habitants du territoire de l’abbaye, réunis dans la paroisse.

Cinq pétitions

La période, de 1837 à 1849, connait quatre pétitions des habitants de la paroisse : les pétitions étaient un mode nécessaire d’expression, en l’absence de démocratie directe. Ces documents sont précieux dans leur matérialité (apprécions par exemple les signatures des chefs de famille…), et très importants pour comprendre la mentalité des habitants. C’est pourquoi leur texte est donné in extenso.

Les quatre pétitions « communales » sont ici précédées d’une pétition de 1809 demandant l’établissement d’un prêtre à Léoncel. Bien que visant un but différent, elle a son importance car elle atteste déjà de l’union des paroissiens sur un objectif unique.

On pourrait en effet penser que les pétitions ont reflété uniquement les pensées et objectifs des deux prêtres de Léoncel (M. Vincent puis M. Guinard) rédacteurs des pétitions de 1837, 1844, 1849. Mais le texte de chacune des pétitions porte sur des doléances très pratiques, venant de la population dans sa diversité (les remarques sur l’absence de garde venaient des grands propriétaires, pas des petits). Le rôle du curé s’est sans doute limité à « pousser » la demande d’autonomie, pour assumer sa mission de protection de ses paroissiens, mais aussi faciliter ses relations avec les autorités municipales. Le curé Guinard a mis beaucoup de lui-même dans cette érection de commune, comme l’attestent ses courriers à l’évêque et au préfet. Et comme le sous-entend une délibération du conseil municipal du Chaffal, répondant à la pétition de 1844 : « [le conseil] déclare vouloir rester étranger aux affaires de Léoncel dont les résultats et entreprises sont, à quelques exceptions près, l’effet de l’ardeur cléricale présentée avec peu de pondération. » (1er décembre 1844).

Joseph Guinard, curé de la paroisse – 1841 / 1856
Avec l’aimable autorisation de M. Bénistand
Photo Amis de la Mémoire du Royans

Une demande motivée

Les pétitions pour la création de la commune comprennent deux types d’arguments :

  • éloignement des mairies : ainsi, pour les actes principaux de la vie (naissance, mariage, décès), il fallait un acte à la mairie, et une célébration à l’église de Léoncel. Au temps des sentiers, ceci demandait du temps, et en hiver, la circulation était parfois impossible ;
  • les services communaux étaient inexistants dans les « hauts pays » qu’étaient les sections communales de Léoncel : pas d’entretien des chemins, pas de surveillance par les gardes, pas d’entretien de l’église, pas de secours aux pauvres, pas d’école…

La pétition de 1849 est la plus détaillée, et sa lecture donne une vision très nette des difficultés de vie dans un territoire pauvre, sous-administré, dans la première moitié du siècle. Même s’il faut tenir compte de la rhétorique propre à l’art de la pétition, elle est à lire avec attention.

Les trois communes concernées, Le Chaffal, Châteaudouble, Oriol, ont été opposées à l’individualisation. Pour deux grandes raisons : d’une part, la perte de ressources fiscales ; d’autre part, le partage des communaux (pour Le Chaffal et Oriol). La question des communaux a été discutée tout au long des procédures ; et c’est un accord sur cela qui a permis les avis positifs du Conseil général. L’accord a été inscrit dans la loi de 1854 : les habitants de la nouvelle commune auront l’usage des communaux de leur ancienne commune (ceux de la section provenant du Chaffal sur les communaux du Chaffal ; ceux des sections d’Oriol sur les communaux d’Oriol). La mise en pratique a été difficile et s’est terminée par des contentieux au XXe siècle.

Avec le recul, l’individualisation de Léoncel s’imposait : l’éloignement des chefs-lieux gênait la gestion courante du territoire, et la faiblesse des revenus des communes empêchait le développement voulu par l’époque. Le sort de la pétition de 1844 le montre : le préfet, n’ayant pas voulu rouvrir un dossier de création de commune, avait proposé la création d’une école à Léoncel, à frais partagés. Les communes-mères ont refusé : cela aurait été un poids de plus pour leurs finances. Le préfet ne pouvait que constater que seule une nouvelle commune mettrait en place le grand projet national d’instruction primaire né de la loi Guizot.

TERRITOIRE DE LA PAROISSE / COMMUNE DE LÉONCEL

La paroisse de Léoncel, utilisant l’abbatiale comme église paroissiale, est en place à la fin du XVIIe siècle. Maintenue en 1790, la paroisse disparaît ensuite [Michel Wullschleger « Comment la paroisse de Léoncel a sauvé l’église abbatiale », Cahier de Léoncel (C.L.) N° 27, 2017. P. 85] . Elle est recréée après le Concordat de 1801. D’abord comme annexe de la paroisse de Saint-Jean-en-Royans, sans doute parce que les Sausses et Valfanjouse dépendent alors de la commune de Saint-Jean.

La commune a repris le territoire de la paroisse s’étendant, à l’époque des pétitions, sur trois communes différentes : Le Chaffal, Châteaudouble, Oriol-en-Royans. La carte ci-après montre le territoire communal actuel en trois zones, différenciant l’origine des différents quartiers. On voit que les chefs-lieux de deux communes-mères, Oriol et Châteaudouble, sont difficiles d’accès : excentrés, éloignés, et défendus par des dénivelés notables (l’altitude moyenne des Sausses et des Combes Chaudes est de 1 000 m : Oriol est à 300 m, Châteaudouble à 350 m d’altitude ; La Vacherie et Léoncel sont à la même altitude, 900 m).

1845 – Implantation de la paroisse de Léoncel
Carte D. Hyenne – D’après la carte de 1845 figurant au dossier ADD 1 M 945

En vert : les Combes Chaudes, quartier qui sera détaché de Châteaudouble (187 habitants en 1845) – En jaune : Léoncel et le Marais, quartiers qui seront détachés du Chaffal (36 habitants) – En rose : les Sausses, Valfanjouse, la Rivière, l’Épenet, Musan, quartiers qui seront détachés d’Oriol-en-Royans (407 habitants).

Pour aider à la lecture, les routes sont figurées bien qu’inexistantes en 1854.

Carte de 1845 – Sections de Valfanjouse et Musan (Oriol) – ADD 1 M 945

Carte de 1845 – En bleu clair, sections de La Montagne et Combe Chaude (Châteaudouble).
En rose, sections de l’Epenet et du Grand Echaillon (Oriol)ADD 1 M 945


LE TEXTE DES CINQ PÉTITIONS

Les documents proviennent des Archives départementales de la Drôme : dossiers 1 M 945 (création de la commune de Léoncel), 10 T 27/3 (instruction primaire), 51 V 102 (paroisse de Léoncel).

1 – Pétition du 20 septembre 1809 des « catholiques de Léoncel à M. le Préfet » pour l’établissement d’une succursale à Léoncel.

2 – Pétition du 29 juillet 1837 « des habitants de la succursale de Lioncel » à M. le Préfet pour l’érection d’une commune.

3 – Pétition du 18 janvier 1844 des « habitants de la paroisse de Léoncel » pour l’érection d’une commune.

4 – Pétition de 1848 « des habitants des hameaux de La Saulce, des Rivières, de Musand, de Combechaude, du Chaffal, Léoncel et de La Vacherie, au Citoyen Préfet » pour constituer une commune unique.

5 – Pétition de 1849 des « habitants de la paroisse de Léoncel » pour l’érection d’une commune.

1 – PÉTITION DU 20 SEPTEMBRE 1809 – DEMANDE D’UNE SUCCURSALE

ADD 51 V 102 – La pétition de 1809 a certainement été précédée d’une autre en 1807. Le curé de Châteaudouble écrivait cette année-là à l’évêque : « il s’agit d’adoucir le sort d’un prêtre, qui se dévoue en quelque sorte, en le fixant dans un pays aussi dégoûtant, aussi âpre, que Léoncel. (…) afin que les bons fidèles de Léoncel puissent avoir la consolation de voir leur pasteur logé avant l’hiver qui dans ce pays est extrêmement dur. ».

La pétition de 1809 a pour objet d’obtenir la présence permanente d’un prêtre, logé dans l’ancienne abbaye, en passant du statut d’annexe au statut de succursale. L’écriture est celle de M. Henri, prêtre. Les signataires (peu nombreux, mais comprenant des propriétaires importants) s’engagent à verser la somme nécessaire au traitement du prêtre et à équiper le presbytère. La succursale semble avoir été accordée : M. Henri loge à Léoncel, même s’il se plaint de coucher sur la paille.

PÉTITION DES CATHOLIQUES DE LÉONCEL À MONSIEUR LE PRÉFET DU DÉPARTEMENT DE LA DRÔME ET MEMBRE DE LA LÉGION D’HONNEUR20 septembre 1809, Valence – pour être déposé au secrétariat de l’évêché

Les catholiques de Notre Dame de Léoncel à M. le Préfet du département de la Drôme et membre de la Légion d’honneur

Monsieur le Préfet, 

Le décret impérial du 20 septembre 1807, titre 2 article 11, accordant la faculté aux principaux contribuables d’une commune d’avoir une annexe, après l’obligation personnelle de payer les desservants, laquelle sera rendue exécutoire par l’homologation, et à la diligence du préfet, les catholiques de Léoncel soussignés, et au nom de tous les habitans sans exception, formant ensemble une population de huit cents âmes disséminées par les montagnes, et les communes de Saint-Jean-en-Royans, Bouvante, et Châteaudouble, tous catholiques.

Ont l’honneur, Monsieur le Préfet, de vous exposer qu’ils ne peuvent exercer leur culte que dans l’église de Léoncel. L’église de Saint-Jean est, pour ceux qui habitent sur son territoire, à quatre lieux de marche, et celles de Bouvante et de Châteaudouble à trois lieues dans la saison d’été, et en hyver les hommes robustes seuls peuvent s’y rendre. Cet éloignement, les neiges qui durent près, et quelquefois plus de, cinq mois de l’année, vous ont porté, Monsieur le Préfet, à la demande de Monsieur le Maire de Saint-Jean, à les maintenir dans la jouissance de leur église et d’une partie des bâtimens et jardins pour leur pasteur et à leur faire concéder ces objets par Sa Majesté impériale et royale. Nous sentons, Monsieur le Préfet, tout le prix de cette concession, daignez agréer l’hommage de notre juste reconnaissance et nous permettre de demander aujourd’hui, ainsi que nous faisons à Monseigneur notre évêque, l’érection d’une annexe.

En conséquence, quoique pauvres et dépourvus des secours de la plaine, nous nous soumettons à payer annuellement et par trimestres égaux la somme de cinq cents francs sans déduction et dont le premier trimestre dû à notre pasteur sera versé [ ?] le premier octobre prochain de cette année 1809, ainsi accordé à lui par nos signatures cy-après et consigné dans un acte antérieur, et double, dont un est déposé au secrétariat de l’évêché, et l’autre entre les mains du pasteur actuel avec obligation pour nous de lui fournir un lit garni d’un traversin de plumes, une paillasse, un matelas de bonne laine, deux couvertures de laine neuves, rideaux et ciel de lit, le tout comme il convient, et le jardin accordé par la loi.

Notre amour pour la religion, la conviction pour les bienfaits qu’elle nous procure et notre espoir que Sa Majesté impériale et royale viendra un jour, par votre médiation, Monsieur le Préfet, à notre secours en érigeant notre annexe en succursale à la charge du Trésor public, ainsi qu’elle nous l’a fait pressentir par sa lettre aux évêques de France de son camp impérial de Znaïm en Moravie, 13 juillet 1809, lettre bien capable de gagner les cœurs de tous les bons et vrais chrétiens de l’empire.

Cet objet, Monsieur le Préfet, vous portera sans doute à nous rendre tous les services possibles, vu notre peu de ressources dans nos montagnes, et pour notre pasteur et pour nous tous.

Nous, dits-habitans, pour l’instruction de nos enfans, nous vous supplions, Monsieur le Préfet, de nous faire concéder dans la ci-devant abbaye un appartement pour cet important et nécessaire objet, et lequel appartement servira de demeure au [illisible], à sa charge de le tenir propre.

Enfin, notre paroisse s’étant trouvée démembrée, faute de personnes instruites sur toutes ces matières, nous avons l’honneur de vous représenter que nous sommes obligés de faire quelques fois plus de six lieues pour l’enregistrement des actes de naissance, mariages et sépultures, et ainsi de porter nos impôts, ce qui nous gêne considérablement avec les frais indispensables pour de si longs voyages.

Ce considéré, nous osons, Monsieur le Préfet, vous supplier de nous faire adresser des registres en conséquence de tous ces différents objets, et que le rôle de la répartition pour la nourriture et l’entretien de notre pasteur au lieu de cinq cents francs soit porté à la somme de six cents francs, afin que les 100 francs soient employés pour les frais de culte et les réparations très urgentes de l’église et de la maison du pasteur.

La présente pétition en triple, dont une à vous, Monsieur le Préfet, la seconde pour Monseigneur l’évêque, et la troisième aux mains de notre pasteur pour lui valoir ce que de raison.

En attendant que nos vœux pour une succursale à la charge du trésor public, que notre pauvreté désire, s’accomplissent, nous nous soumettons à tout ce qui est marqué dans cette pétition.

Ce considéré, Monsieur le Préfet, il vous plaise ordonner de faire dresser un rôle de répartition revêtu de votre homologation pour le rendre exécutoire, ainsi que la présente pétition.

Les remontrans ne cesseront de faire des vœux pour la précieuse conservation de vos jours, à Léoncel les susdits an, mois et jours que dessus.

Nous soussignés, habitans de Léoncel, avons nommé Monsieur Alexis Grimaud comme plus près de l’église, de se charger de tous les registres cy-mentionnés, et lequel a bien voulu se charger de accepter lesdites charges et d’être fidèle à remplir toutes ses obligations. À Léoncel, les jour, mois et an que dessus.

La présente pétition lue et publiée sans aucune réclamation, et que ledit sieur Grimaud a signé avec nous.

Trois mots rayés nuls.

[8 signataires] Joseph Ollier François Rousset

Alexis Grimaud Jean Benistant

Jean Pierre Marcel Jean Belle

Joseph Rallion [sic] P. Belle

Pétition de 1809 – Détail – ADD 51 V 102

2 – PÉTITION DE 1837 – DEMANDE D’UNE COMMUNE

ADD 1 M 945 – La pétition est de l’écriture du curé de l’époque, M. Vincent. Elle demande au préfet de « nous tracer la marche à suivre pour une commune nouvelle », le remerciant de sa « bonté paternelle » et de l’intérêt donné « à votre pauvre peuple des montagnes ». Les arguments pour l’érection de la commune sont de deux ordres :

  • l’éloignement des chefs-lieux, compliquant les démarches ; surtout l’hiver « qui souvent dure ici six mois« .
  • l’absence de services communaux malgré le paiement des impôts : pas de visite des gardes, pas d’entretien des chemins, pas d’école.

Les paroissiens ont un projet clair : « On va nous objecter, qu’il nous faudra une mairie et une école : mais dans l’ancienne abbaye de Lioncel, il existe un corridor devant l’église où à peu de frais nous trouverons des chambres pour ces deux objets. ».

On note la graphie « Lioncel » : on voit encore cette graphie dans quelques autres documents de la procédure, alors qu’elle est inconnue des pièces de la période 1800 /1810.

Signatures de la pétition de 1837 – Détail – ADD 1 M 945

Les habitants de la succursale de Lioncel à Monsieur le Préfet du département de la Drôme

[En marge : 29 juillet 1837]

Monsieur le Préfet,

Nous avons appris que le gouvernement a érigé depuis peu de temps de nouvelles communes ; cela ranime nos espérances, et nous porte à vous supplier de prendre nos intérêts, dans une affaire qui est toute pour notre bonheur et qui fera aussi le bonheur de nos enfants. Il est presque impossible qu’en France, il y ait une population qui ait autant de besoins et autant de titres que nous à être érigée en commune. Voici les raisons que nous croyons avoir.

1°. Nous habitons, sur cette montagne, un terrain, qui a bien au moins 8 lieues de circonférence. Nous dépendons de trois communes pour le civil. Les habitants de Lioncel, qui est section du Chaffal, pour se rendre au chef-lieu de la commune il leur faut une heure et demi ; les habitants de Combe-Chaude, section de Châteaudouble, pour descendre à la commune, il leur faut deux heures ; les habitants de la Saulce, Rivières et Muzan, section d’Oriol-en-Royans, il leur faut au moins trois heures pour descendre à la commune. Nous sommes obligés de faire toujours double voyage pour informer la mairie, et l’autre à Lioncel pour le Culte, tandis que si nous avions la commune, un seul suffirait. Pour les mariages, lorsque nous ne trouvons pas le maire, nous sommes contraints de coucher, de faire des dépenses et de perdre deux journées.

2°. Mais la plus grande de nos difficultés sont les neiges de l’hyver qui souvent dure ici six mois. Dans cette saison, il nous faut souvent rester 8 à 10 jours sans pouvoir faire enregistrer les naissances ou les décès ; et si malgré le temps, nous voulons nous mettre en chemin, nous courrons risque de nous égarer dans les brouillards, et quelques fois de périr sans secours dans des tourbillons de neige soulevés et lancés par les vents. D’autres fois, nous sommes exposés à être emportés en traversant des rivières débordantes. Il ne nous serait point difficile de citer l’exemple déplorable, de plusieurs personnes de notre montagne, qui ont péri de cette manière.

3°. Les maires de nos communes poussant rarement ici, ne peuvent surveiller les chemins ; aussi déjà, quelques personnes, et plusieurs de nos bestiaux, se sont précipités à cause du mauvais état de nos chemins.

4°. Les gardes communaux étant trop éloignés de nos montagnes, ne peuvent surveiller nos propriétés, aussi il s’y commet souvent des délits.

5°. Le gouvernement accorde des secours pour faciliter l’instruction des pauvres ; mais n’ayant point ici la commune, plus de 80 enfants qui pourraient fréquenter l’école, ne jouiront jamais de ce bienfait. Cependant, s’ils étaient cultivés, on en trouverait ici, comme ailleurs, qui dans la suite se rendraient utiles à la société.

6°. Nous supportons toutes les charges des communes d’où nous dépendons, mais il nous est impossible de participer à aucun de leurs avantages. Si le gouvernement écoutait notre demande, il aurait ici une nouvelle commune de cent neuf feux et de six cent trente âmes, comme vous pourrez vous en convaincre par l’état de la population des trois sections, que nous avons joint à la présente. Dans ce cas, la commune du Chaffal perdrait 36 âmes, celle de Châteaudouble, 187, et celle d’Oriol 407. Seraient-elles trop affaiblies par ces démembrements ?  Si nos communes considèrent la chose avec humanité et sans passion, loin de plaindre, elles verront avec plaisir qu’une portion de leurs compatriotes voisins soient enfin rendus bien plus heureux, qu’ils n’ont été jusqu’ici, par un bienfait du gouvernement.

7°. On va nous objecter, qu’il nous faudra une mairie et une école : mais dans l’ancienne abbaye de Lioncel, il existe un corridor devant l’église où à peu de frais nous trouverons des chambres pour ces deux objets.

Si vous doutiez de la sincérité de nos raisons, vous nous feriez un grand plaisir, de nous envoyer un commissaire à nos frais, pour tout examiner.

Lioncel étant actuellement dans le canton de Chabeuil, nous désirerions que la nouvelle commune en fût également.

La renommée, qui se plaît à répéter les bienfaits que les grands personnages accordent à ceux qui leur sont soumis, nous a aussi appris à nous-mêmes, Monsieur le Préfet, que tous vos vœux sont de rendre vos administrés heureux et contents. Nous sommes convaincus que les soins bienfaisants que vous donnez aux villes de votre juridiction, sous tous les rapports, vous les étendrez aussi à notre pauvre peuple de cette montagne, qui a bien plus de misère et de difficultés que les habitants de la plaine et des villes. Nous espérons donc tous que votre bonté paternelle vous portera à faire tout ce qui dépendra de vous, pour nous faire réussir dans un projet qui intéresse grandement le bien public de notre montagne ; et alors nous et nos enfants en rendrons grâce à Dieu et le prierons de nous conserver, pendant longtemps, un Magistrat qui nous est si cher.

Les habitants lettrés de la paroisse ont signé la présente, ainsi que les MM Bellon de Peyrus et M. Coche de Montlier [Montélier ?], les trois plus forts propriétaires de notre montagne, et

Sommes tous avec respect,

Monsieur le Préfet,

Vos très humbles et très obéissants serviteurs.

[3 ]Bellon [illisible] / Coche / A. Bellon, maire de Peyrus

Signatures des habitants de Lioncel, section du Chaffal :

[10] Berthin […] garde-particulier / Fave / Liotard / [Illisible] / Fave / Revol /Belle / Querin [Guérin ?] Berthin / Vincent desservant

Signatures des habitants de Combe-Chaude, section de Châteaudouble :

[15] J.P. Gresse / [Illisible] / Gresse / Antoine Grimaud / Marcel / Granjon / Benistant / Baraquand / Farmad [?] / Gresse / J. Grimaud / Granjon / Pinat / J. Raillon / M. Brun

Les habitants de la Saulce, Rivières et Muzan, section d’Oriol-en-Royans :

[24] J.P. Benistant / Grimaud / J.P. Benistand / [illisible] / Bodin / Bodin / Roussel / Fave / Grimaud / Bodin / A. Vigne / Arbod / Arbod / A. Didier / Ollier / Ollier / Testou [?] / Benistand [illisible] / Reynier / Granjon / A. Marcel / Ponçon / A. Benistand / A. Juvenon

À Lioncel, le 23 juillet 1837

[total 52 signataires]

P.S. La commune projetée est, presque de tous côtés, délimitée par la nature même.

Nous vous supplions, Monsieur le Préfet, de nous tracer la marche qu’il y a à suivre, pour arriver à cet heureux but, le plus tôt qu’il vous sera possible.

3 – PÉTITION DE1844 – DEMANDE D’UNE COMMUNE

ADD 10 T 27/3 – Rédigée également par le curé de Léoncel, maintenant M. Guinard. Plus courte que la précédente, elle reprend les mêmes arguments : éloignement des chefs-lieux, participation aux impôts des trois communes sans contrepartie – église et presbytère sont sans entretien, « nous sommes privés d’instituteur », les gardes ne viennent pas, les chemins sont impraticables, la rivière n’a pas de pont.

Le nouveau préfet tient compte de la décision de son prédécesseur, en 1839, et n’entame pas de procédure de création de commune. Mais, appliquant des consignes ministérielles insistantes en matière d’instruction primaire, il entame une procédure de création d’école publique à Léoncel. Les communes du Chaffal et de Châteaudouble donnent un avis négatif sur cette demande (on n’a pas de délibération pour Oriol). Malgré un avis positif du Conseil académique en 1851, cette école ne verra pas le jour, rattrapée par la nouvelle procédure de création de commune entamée en 1845.

18 janvier 1844, Léoncel

Les habitants de la paroisse de Léoncel à Monsieur le Préfet,

Depuis bien des années nous travaillons à sortir du plus triste état où puisse se trouver une population d’environ 700 âmes. Plusieurs des Messieurs les Préfets qui ont administré le Département ont voulu nous délivrer des maux sans nombre qui pèsent sur nous mais leurs efforts ont été infructueux : il sera sans doute réservé à votre administration, vraiment paternelle, Monsieur le Préfet, le bonheur de faire des heureux, oui vraiment des heureux ! Car nous n’éprouvons, dans notre triste position, que la rigueur des lois du plus fort, sans participer à aucun des nombreux avantages dont jouit la France et surtout notre Département. Ainsi les communes dont dépend notre paroisse ont-elles besoin d’un impôt pour l’entretien de leurs Églises, de leur Temple, ou de leurs Presbytères, nous y participons pendant que notre belle église est privée de toute décoration, de tout entretien, et sur le point de tomber en ruines, faute de tuiles pour la couvrir, nous pouvons en dire autant du presbytère. Ont-elles besoin d’un impôt pour une maison d’école, pour payer un garde, pour les réparations des ponts et des chemins, nous y participons, pendant que nous sommes privés d’instituteur, pendant que les Gardes des Trois Communes ne visitent pas nos propriétés et ne les connaissent pas même, pendant que les chemins sur presque tous les points de notre paroisse montagneuse sont tout à fait impraticables et dangereux, pendant qu’à la moindre augmentation des eaux de la rivière, il nous faut attendre qu’elles soient écoulées faute de pont.

Nous ne vous parlerons pas, Monsieur le Préfet, des autres désavantages sans nombre qu’il nous faut supporter, des dangers auxquels nous sommes exposés pendant l’hiver qui est affreux dans ce pays, pour aller à trois heures d’un côté et à plus de deux heures de l’autre, faire enregistrer les naissances, les décès et contracter les mariages à la Mairie. La preuve que ce danger est grand est qu’un de nos prêtres a péri dans les neiges il y a peu d’années.

Nous osons donc espérer, Monsieur le Préfet, que vous prendrez pitié de nous, vous nous ferez participer aux nombreux bienfaits que vous répandez sur tous vos administrés, vous nous aiderez de vos conseils et de tout votre pouvoir à améliorer notre triste sort, nous sommes prêts à faire tous les sacrifices et démarches qu’il vous plaira de nous indiquer pour arriver à cette fin.

Nous sommes avec reconnaissance sans égale, Monsieur le Préfet, vos très obéissants serviteurs.

Comme il n’y a jamais eu ici d’instituteur, un bien petit nombre de personnes ont signé.

Pétition de 1844 – Détail – ADD 10 T 27/3
La belle écriture de M. Guinard, curé

4 – PÉTITION DE 1848 – DEMANDE D’UNE COMMUNE UNIE AVEC LA VACHERIE ET LE CHAFFAL

ADD 1 M 945. Cette pétition n’est malheureusement pas datée précisément et on ne sait pas à quel moment de la première année de la République elle s’est placée. Les 29 signataires disent craindre un nouveau découpage de communes annexant leurs montagnes à des communes du bas : Saint-Jean, Bouvante, Châteaudouble. D’où une demande d’une commune réunissant ce qui deviendra Léoncel et ce qui est la commune du Chaffal.

Pas de signature du curé, pas de référence à la paroisse. Cette pétition a dû être classée « en attente » dans le dossier ouvert en 1845.

Les habitants des hameaux de Léoncel au Préfet 1848

Les habitants des hameaux de La Saulce, des Rivières, de Musand, de Combechaude, du Chaffal, Léoncel et de La Vacherie,

Au Citoyen Préfet

Exposent que, craignant d’être réunis, les uns à Saint-Jean, les autres à Rochas [ ?] ou à Bouvante, et les autres à Châteaudouble, désireraient se réunir pour ne faire qu’une commune dont le chef-lieu serait Léoncel à cause de sa centralité. Les hameaux de la Saulce se trouvent éloignés de St-Jean de cinq heures de chemin et dont il fait encore partie, des Rochas et de Bouvante, de deux heures et demi, le hameau de Musand et de Les Rivières qui faisait partie de la commune d’Oriol en est éloigné de trois heures de chemin, celui du Chaffal et la Vacherie, qui ne faisaient autrefois qu’une commune et la Combechaude qui dépend de Châteaudouble, en sont éloignés de deux heures et demi ; tous les hameaux susmentionnés ne sont éloignés de Léoncel que d’une heure de ce chemin ; tous les moyens tant administratifs que économiques se trouvent réunis dans la pétition de tous les citoyens composant les hameaux  susmentionnés, dont le nombre d’habitants s’élève à composer cent quatre vingt familles, tous pauvres et par conséquent hors d’état de voyager, soit pour payer leurs impositions, faire constater les naissances morts et mariages etc. ; ils espèrent que vous aurez égards aux vœux unanimes de tous ces hameaux, sera justice.

[11] Lafond Joseph / Ollier / J.P. Marcel / Jean Pierre Benistand /Anthoine Ollier / Antoine Pinat / A. Landon / Estienne Landon / Alexis Grimaud / Joseph Berthier / Brun

[18]J. Eynard / Joseph Benistant / Alexis Grimaud / Joseph Ollier / Jean Benistand / J.P. Motet / J.P. Pinat / A. Benistant / Michel [illisible] / Michel Baraquan / Jean Belle / Jean Benistant / Jean an [?] Fave / Benistant / Jean Pierre Marcel / J.P. Benistand / Jean Pierre Gresse / Joseph Eynard

[29 signataires]

Pétition de 1848 ADD 1 M 945
Pétition de 1848 – Détail de la deuxième page – ADD 1 M 945

5 – PÉTITION DE 1849 – DEMANDE D’UNE COMMUNE

ADD 1 M 945. La pétition non datée (en marge : « 1849 ») s’inscrit dans une procédure ouverte en 1845. Elle est écrite par le curé, M. Guinard, elle est signée par 29 personnes. Le fond est identique à celui des précédentes pétitions : éloignement des chefs-lieux, absence de services. Mais les inconvénients sont nettement plus détaillés, en 12 points qui donnent un aperçu plus varié des conditions de vie.

Le texte de cette pétition a été donné par Michel Wullschleger dans « À propos de la création de la commune de Léoncel en 1854 », C.L. N° 26, 2015, p. 138-142. Également transcrit dans Léoncel, une abbaye cistercienne en Vercors, Cahier culturel du Vercors n° 5, Éd. La Manufacture, Die, 1984, p.83-84.

Les habitants de la paroisse de Léoncel à M. le Préfet de la Drôme

Monsieur le Préfet,

L’administration des trois communes dont nous dépendons nous rend si malheureux et nous éprouvons tant d’injustices et tant de difficultés que nous ne cesserons de demander l’érection de notre paroisse en commune ou, si cela est absolument impossible, sa réunion avec celle du Chaffal qui est très petite.

Les motifs de notre demande sont.

1°. Le mauvais état de nos chemins qui seront toujours impraticables tant que nous dépendrons de Messieurs les Maires de la plaine, qui ne les connaissent pas et n’y passent jamais.

2°. Nos enfants ne pouvant aller chez les instituteurs communaux à cause de l’éloignement et du mauvais temps sont privés de toute instruction, aussi sur une population de près de 700 âmes, trouve-t-on à peine soixante personnes qui sachent signer, et encore Dieu sait comment.

3°. Notre belle église et notre presbytère sont dans le plus pitoyable état parce que les communes ne nous ont jamais rien accordé, pendant que chaque année, pèse sur nous quelqu’impôt extraordinaire pour l’entretien des maisons communes, maisons, d’école, des presbytères, églises et Temple des communes dont nous dépendons, quoi de plus injuste !

4°.  Nous avons tous les ans des mariages qui ne peuvent avoir lieu parce que les actes de naissance des époux ou les actes de décès de parents n’ont pas été enregistrés à la commune ; et cela pour deux motifs. Le 1er est l’éloignement, car il ne faut pas moins de sept heures pour faire le voyage d’ici à Oriol ; le 2e est que le temps qui est si affreux ici, que l’on passe deux ou trois mois, sans pouvoir aller au chef-lieu des communes dont nous dépendons.

5°. La section d’Oriol, étant à deux ou trois heures du village, ne reçoit ses lettres qu’une fois le mois, au marché de St-Jean, de là une infinité de frais d’assignation et de pertes qu’elles supportent injustement, par le retard de ses lettres. Ainsi dernièrement une personne de la plaine écrivit à sa sœur d’aller la servir, mais pendant que la lettre séjournait à St-Jean, la personne a tout donné à des étrangers et elle est morte.

6°. Oriol a un bureau de bienfaisance, assez riche, et les mendiants de la montagne n’en ont jamais rien reçu. Quelle injustice. Nous demandons en nous séparant d’Oriol et de Châteaudouble la conservation de nos droits sur les bureaux de bienfaisance.

7°. Les sections d’Oriol et de Châteaudouble ne voient les gardes champêtres qu’une fois l’année quand ils apportent les bordereaux ; de là une infinité de vols, de là une infinité de dommages faits par les troupeaux, de là pleine liberté pour les chasseurs de la plaine, de venir avec des meutes gâter nos moissons. Quoi de plus injuste que de nous faire participer au paiement de trois gardes dont le service est tellement nul pour nous qu’il y a sur la montagne trois gardes particuliers.

8°. Le défaut d’autorité locale autorise toute sorte de bruits, de libertinage et d’insultes, ainsi tous nos prêtres ont été insultés, même dans l’exercice de leurs fonctions. Tout cela est resté impuni. Les aubergistes et leurs voisins ont appris à être privés tous les dimanches de leur sommeil par les ivrognes et la jeunesse, qui, se trouvant entièrement libres, peuvent s’abandonner à toutes sortes d’extravagances.

9°. Quand nous avons une naissance, un décès ou un mariage à faire enregistrer, il nous faut partir deux jours, un pour aller à la mairie et l’autre pour aller à l’église.

10°. Les communes qui sont injustes, à notre égard, le sont encore davantage dans la distribution des secours accordés aux communes grêlées, que dans celles des revenus du bureau de bienfaisance.

11°. Injustice dans les élections. Oriol a mille âmes, la section de la montagne en compte quatre cents, elle n’a jamais qu’un conseiller municipal, et encore, si les MM du village n’en sont pas contents, ils ont soin de le rayer de la liste électorale pour qu’il ne puisse être réélu.

12°. Messieurs les Maires de la plaine, ne connaissant pas les habitants de la montagne, peuvent commettre de graves erreurs, ainsi dans un tirage au sort, un de ces Messieurs a attesté qu’un jeune homme était fils aîné d’orphelins pendant qu’il était le plus jeune de la famille.

Enfin notre paroisse, qui a douze ou treize lieux de circonférence, étant privée de toute autorité, et celles de la plaine étant à trois ou quatre lieues, il n’est pas rare de voir des déserteurs et des malfaiteurs en tout genre de s’y réfugier et y passer des années entières, ce qui nous expose à toutes sortes de malheurs.

Vous ne pourrez croire sans doute, Monsieur le Préfet, à tant d’injustices, à tant d’actions illégales ; vous allez craindre, de suite, l’exagération, mais nous ne pouvons prouver tout ce que nous avançons et bien d’autres choses, par exemple, que faute de chemins on gâte plusieurs prairies dans la rivière ; nous exagérons si peu, M. le Préfet, que nous vous autorisons à faire publier notre pétition dans le Journal de la Drôme.

Nous osons donc espérer, Monsieur le Préfet, que tant de si graves motifs nous feront obtenir ce que nous demandons depuis si longtemps et ne cesserons jamais de demander, l’érection de notre paroisse en commune, ou, si cela ne se peut, sa réunion avec celle du Chaffal. Par là vous rendrez un service signalé à une population malheureuse et délivrerez la préfecture d’une infinité de plaintes qu’y attirent sans cesse les injustices dont sont victimes vos très humbles et très obéissants serviteurs.

Conseillers municipaux

[4] Fave conseiller municipal / Benistand / J.P. Gresse / A. Revol

Membres de la fabrique

[36] Dournon, brig.r forestier

Benistand [?] F. / Joseph Ollier f. / Arbod / Marcel / Joseph Bodin / P. Fave / J.P. Ponçon / P. Benistand / J. Grimaud / P. Bodin / J.P. Gresse / J. Benistant / J. Ponçon / C. Grimaud / Gaudin / A. Benistand / Jean Baraquand / P. Ollier / J. Belle / [ ?] Marcel / J. Boi.. [?]/ A. Rousset / J.L. Arbod / A. Didier / A. Fave / P. Ollier / A. Moulain / Isidore Ju… [?] / Marcel / Joseph Pinat / J.P. Benistant / J. Granjon / Eynard / Jean Bodin / Guinard, desservant / Jh Lantheaume

[40 signataires]

Pétition de 1849 – ADD 1 M 945