XIIIème SIECLE : LES CISTERCIENS DE LEONCEL AU MANDEMENT DE CHATEAUNEUF SUR ISERE

leoncel-abbaye-69.1  Le Mandement de Châteauneuf , d’une superficie importante et associant des étendues alluviales à un ensemble collinaire résiduel armé notamment par de la molasse du miocène, sables et grès, ces derniers favorisant le creusement d’abris, de grottes et de caves, abrita longtemps deux paroisses, l’une autour de l’église de Châteauneuf, l’autre autour d’une simple chapelle Saint- Marcel relativement proche de la grange du Conier,(on trouve aussi Cognier, Cognet…) et du Mandement d’Alixan. Les relations entre l’abbaye et la famille de Châteauneuf furent fructueuses dès le XII° siècle, avec les premières donations territoriales (même si elles concernaient des espaces du Mandement d’Alixan) de Raymond de Châteauneuf au temps du premier abbé de Léoncel, Burnon, puis vers 1160. Les liens furent renforcés avec l’arrivée à Léoncel du moine Hugues de Châteauneuf, élu abbé abbé de 1163 à 1169, puis abbé de Bonnevaux et donc « père immédiat » de Léoncel entre 1169 et sa disparition en 1193 ou 1194. Nous sommes toujours tributaire dans nos recherches des écrits du chanoine Ulysse Chevalier, artisan du cartulaire de Léoncel (1869) et, plus tard, du Regeste Dauphinois.

Dans la charte n° 21 du cartulaire, en 1163, un Guillaume, « seigneur de Châteauneuf » annonçait « dono et concedo in perpetuum sancte domui Leoncelli et ejusdem domus fratribus omne pedagium et omnia usutica per totam terram meam et per aquam » assurant à nos moines une circulation totalement libre sur le Mandement. Le mot de pâturage n’est pas encore prononcé mais il est naturel d’y penser. En 1188, Hugues, abbé de Bonnevaux notifie que son frère, Guienisus, seigneur de Châteauneuf, son épouse et son fils confirment tout ce que leur père avait accordé » aux moines de Léoncel. En 1193 Guienisus de Châteauneuf et ses fils Gontard et Guienisus donnent à Notre Dame de Léoncel et à l’abbé Pierre, le droit de pâturage pour leurs animaux dans tout le Mandement de Châteauneuf, à l’exception des terres céréalières. Ils prient l’évêque de Valence d’apposer son sceau. Les témoins de cet acte sont nombreux et brillants. Le dit évêque atteste qu’à l’instar de son voisin, Odilon de Châteaubourg a concédé à l’abbé de Léoncel le droit de pâturage dans ses terres et celui de passage sans redevance par les ports de Châteauneuf et de Confolens.
On peut rappeler encore qu’en 1195, Odon, seigneur de Tournon a concédé aux moines de Léoncel le libre passage dans ses domaines, les exemptant de tout droit de péage, leyde et pontonnage par terre et par eau.

leoncel-abbaye-69.2Il n’y a pas d’écho d’un droit de pâturage dans le Mandement de Châteauneuf, dans la bulle du pape Innocent III de 1201. Les précisions vont venir dans les années 1220. En 1223 Guienisus, seigneur de Châteauneuf, confirme aux moines de Léoncel les donations faites par ses prédécesseurs du droit de pâturage dans tout le mandement à l’exception des terres emblavées et dans les taillis. L’abbé Bernard lui compte 50 sols. (Cart. LXXXVII- R.D.6675).
En 1224, la veuve de Pierre du Revest et ses fils Pierre et Pons, font don à l’abbaye des terres des Chirons (Blache ronde et Bel Regardet) au Revest et 12 deniers de cens qu’elle percevait à l’essart de Charon. Les moines lui donnant 10 livres, monnaie viennoise, et lui accorde à titre de bénéfice personnel 6 sétiers de blé (froment et seigle), un muid de vin pur, 6 fromages, un porc de 3 sols et 5 toisons de brebis. Ce curieux échange (vente véritable ?) a été effectué à Valence « dans la maison de Léoncel » (XCIII- 6732)
Deux ans plus tard, au mois d’avril Humbert de Châteauneuf donne aux cisterciens le droit de pâturage sur tout sa terre au Mandement de Châteauneuf et ne donne pas suite à une réclamation. Il reçoit 4 livres et donne pour garant de l’ouverture de ses herbages, le seigneur de Tournon ; Guigues. (XCIV-6833)
En 1229, à Montéléger, le chanoine Falcon Chambatz, mandataire de Jean, abbé de Saint Felix (prieuré de l’ordre de Saint-Augustin, traité souvent d’abbaye, uni au chapitre cathédral de Valence à la fin du IX° siècle et qui, à partir de 1373 se trouva dans la dépendance de Saint-Ruf) multiplie les griefs contre la maison de Léoncel au sujet des terres des Chirons, données par Jordane et Pierre de Revest. Finalement il abandonne ses prétentions, sauf le cens dû à l’abbé de Saint Félix. (CV- 6998)
En février 1248, Raymond de Châteauneuf, fils de Guienisus, après avoir lu et relu les chartes de donation et concession de pâturage au Mandement de Châteauneuf accordés par ses prédécesseurs, les confirme en déclarant renoncer « au bénéfice de sa minorité »qu’il aurait pu invoquer et il propose « au besoin »de les renouveler à l’abbé Ponce. « Pour le salut de mon âme et de celles de mes prédécesseurs, je donne et concède les pâturages du Mandement de Châteauneuf à la maison et aux frères de Léoncel, à perpétuité, afin que tous les animaux de cette maison, même ceux qu’elle élève à mi-croÎt puissent paître librement et en sécurité ». (CLIV-8406)
Le 20 juin 1261, une transaction a lieu entre l’abbé André de Léoncel et Guillaume, prieur de Saint-Félix. Nous les retrouverons dans un texte consacré aux relations entre notre abbaye et les autres religieux au XIII° siècle.
Le 6 décembre 1276, nous assistons à une autre transaction entre le prévôt de Valence, Pierre Rostagni et Martin de Genève, sous prieur et procureur du monastère de Léoncel, par l’entremise de Maître Ponce Sablarii, prieur de Saint-Pierre du Bourg (antique abbaye convertie en un chapitre de chanoines qui devait être uni au chapitre de Valence au XVIII° siècle) et Hugues d’Etoile, chanoine de Valence. Le prieur et le chanoine, après avoir interrogé les témoins et parcouru les chartes des prévôts antérieurs, décrètent que la maison de Léoncel a droit de pâturage dans les terres de la prévôté vers le port de Confolens, vers Cheyssann et Saint-Marcel (« Javayson ») moyennant quatre livres, monnaie courante et 2 fromages ou six sols (contrat d’albergement ?). (CCXXXVIII -11635)

leoncel-abbaye-69.3Le 24 novembre 1282, mardi après la Saint-Clément, à Valence, en la maison de Raymond de Solignac, chanoine de Valence et de Die, en présence de Martin dit « de Genève », cellerier de l’abbaye et de quelques autres moines et convers de Pierre de Solignac, damoiseau, et d’autres témoins, Guenis, seigneur de Châteauneuf, après la présentation par Giraud de Vassieux, abbé de Léoncel, de documents authentiques qui lui sont expliqués et qui traitent des donations et concessions de ses prédécesseurs, notamment de Raymond, son père les approuve et les ratifie, »bien qu’elle ne donnent lieu à aucune discussion ». Il confirme au monastère le droit de pâturage dans le Mandement et Territoire de Châteauneuf, sauf du 1° Mai à Noël et avec le plus grand respect pour les vignes, les emblavures, les moissons et les prés (de fauche). (CCXLVII-12508).
A Châteauneuf, le 25 novembre1282, la mère de Guenis, Vierne, son épouse Alix , et ses frères Gontard, Guillaume, chanoine de Viviers, et Raymondet, certifient en langue vulgaire leurs droits, spécialement d’hypothèque pour les femmes et approuvent et ratifient l’acte de la veille devant divers t »moins (CCXLVII-12509)

Le 21 janvier 1284 s’élabore une transaction entre d’une part Pierre de Romans, moine de Léoncel et Jean, convers, et d’autre part Rixente, veuve de Pierre de Châteauneuf et son fils Guillemet, par l’entremise de Ponce de la Balme, chapelain et chanoine de Valence et Arnaud Correa, prêtre et clerc de Saint-Pierre du Bourg à Valence. Ceux ci après une enquête de plusieurs jours décidèrent que les moines avaient le droit de conduire leurs troupeaux dans le territoire de Châteauneuf, qu’ils soient leur entière propriété ou qu’ils les tiennent à mi-croît, d’y séjourner, de couper du bois pour leur usage et pour abriter les bêtes, en s’abstenant de tout dommage et en respectant les taillis de mai à la fin de septembre excepté le dunscum ( ?) au dessus de Châteauneuf, vers le monastère vieux (sans doute premier monastère des moniales, avant leur implantation à Vernaison à la suite de la catastrophe de Bourg d’Oisans en 1219). Rixente reçoit 60 sols, son fils 10 et son beau-frère Guillemet Richardi 3. Les religieux donneront chaque année une toison de laine et un fromage. Sceau de la cour de Valence apposé par l’official (CCLII-12659)

En août 1290, Jean de Genève, évêque de Valence et de Die atteste avoir vu et lu plusieurs chartes de donation faites à l’abbé et au couvent, de pâturages du territoire et Mandement de Châteauneuf par les seigneurs de ce château : Guinesius et ses frères, leur père Raymond, leur aïeul Guinesius, leur bisaïeul Raymond, Odon de Châteaubourg, Humbert de Châteauneuf, Rixente, son fils Guillaume et leurs prédécesseurs, chartes scellées par les évêques de Valence, Odon, Falcon et par l ‘ « élu » Guillaume. qui, devenu évêque à part entière confirme ces aumônes et concessions et scelle sa charte. (CCLXIII- 13725)

Il faut retenir cette exigence (et nécessité) de confirmations, pas seulement aux changements de générations. Et, bien sûr, d’une part l’importance de ces pâturages d’hiver sur les bords de l’Isère et d’autre part et surtout l’atout que représentent les documents écrits et leur conservation.

Depuis Livron, Guillaume, désormais évêque, prend le 21 décembre 1301 sous sa sauvegarde les frères et familiers de Léoncel. Le conflit des Episcopaux n’est sans doute pas étranger à cette attitude (CCXCIV-15945)
Ce même 21 décembre, il atteste avoir vu et lu plusieurs chartes de donation de pâturages à l’abbaye et à ses moines. Il les confirme dans des termes identiques et renouvelle sa sauvegarde du même jour (CCXCVIII-15988)

Parallèlement, le comte de Valentinois, grand rival de l’évêque s’intéresse aussi à l’abbaye sur laquelle il tente d’alourdir sa tutelle, en tant que seigneur d’Eygluy.

Le 1er Septembre 2014 Michel Wullschleger