LE MANDEMENT DE CHATEAUDOUBLE ET SES VOISINS IMMEDIATS, CHABEUIL ET MONTELIER


Nous sommes encore, en grande partie, dans la transition entre montagne et plaine de Valence. Le Mandement de Châteaudouble surprend par son importance territoriale (on peut voir une esquisse dans le Cahier de Léoncel n° 22, p. 6). En effet il associe à la paroisse éponyme, celles du Chaffal (mais pas la Vacherie), de Combovin et de Peyrus. Au nord, il atteint le col de Tourniol. Au sud il domine le village de Barcelonne et s’approche de celui de la Baume Cornillane. Il participe aux deux types de contact entre le massif que nous appelons aujourd’hui le Vercors et la plaine de Valence. Au sud de Châteaudouble, la dalle ondulée de calcaire urgonien domine directement la plaine par les falaises de la Raye qui limitent à l’ouest le plateau de Combovin, sauf au droit du village où l’érosion l’a malmenée, et plus au sud le plateau jumeau de Gigors . A Peyrus, le contact par l’intermédiaire de la dépression (une combe pour le géographe et peut être plusieurs combes côte à côte si l’ancien pli présentait des ondulations secondaires) ouverte par l’érosion dans le pli le plus occidental du Vercors dont il ne reste que deux crêts parallèles mais fortement dissymétriques par leur altitude. Le « cirque de Peyrus » est assez grandiose. Au nord de Peyrus, hors du Mandement de Châteaudouble, la dépression creusée entre les deux crêts se poursuit jusqu’à Beauregard Baret où elle se referme. Franchement nord-sud au sud de Châteaudouble, le contact prend à Peyrus et au-delà vers le nord une orientation plutôt nord-nord-est—sud-sud-ouest.

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Ce Mandement a favorisé les allers et venues des moines vers la partie centrale de la plaine. Il n’est pas facile de décrire avec quelque chance de clarté les progrès territoriaux de l’abbaye en plaine au XIII° siècle. La bulle d’Innocent III énumérant les propriétés de l’abbaye à l’orée du siècle en 1201 cite d’entrée de jeu comme les territoires de Saint-Roman et de Combe-Chaude ainsi que le cellier de Peyrus, tous les trois au Mandement de Châteaudouble), puis, ailleurs en plaine, les granges du Conier, de Parlanges et de la Voupe et, bien entendu, la maison de la Part-Dieu, sans donner plus de précisions.

leoncel-abbaye-68.2Le XIIIème siècle voit grandir le rôle des villes, notamment dans la production de richesses, et dans le développement des échanges, On note aussi les progrès du défrichement et de la production agricole. Il faut noter aussi, , dans une autre  registre, le succès des ordres mendiants qui finira par peser sur le recrutement des frères convers et sur la développement du faire-valoir indirect dans le monde monastique. Nous avons souligné l’intérêt de la charte de Saint-Nazaire et Oriol de 1296 qui évoque des « reconnaissances » de l’origine des biens qu’ils tiennent par les tenanciers de l’abbaye, et aussi des obligations qui leur incombent. Le contrat d’albergement (de type emphytéotique) a donc évolué au profit de ceux qui bénéficient de la propriété éminente de la terre. Au XIIIème siècle, les moines de Léoncel multiplient les transactions en plaine avec des laïcs nobles ou roturiers. Elles se révèlent d’une grande diversité quant à leur conduite et à leurs succès. D’où la difficulté d’être clair. De plus, assez souvent le nom du donateur ou de l’interlocuteur évoque un lieu qui n’est pas celui de la donation ou de la tractation. Ainsi en 1231 Bellata, épouse de Pierre Duranti de Chabeuil fait donation à nos moines du bois et des terres de Beauriant dans la paroisse de Puyssac, proche de Marches. C’est la géographie de la terre et du bois qui l’emporte, bien entendu.. D’autres transactions sanctionnent des relations en principe aisées, mais parfois très difficiles avec le monde religieux. Nous les évoquerons à part. Il convient enfin de rappeler le climat de défiance et d’insécurité provoqué par la guerre des Episcopaux et ses secousses, tout au long du XIII° siècle. Nous travaillons essentiellement avec les chartes du cartulaire constitué par Ulysse Chevalier. Pour chacune d’entre elles nous donnons en chiffes romains le numéro de la charte dans le cartulaire et le numéro en chiffres arabes du résumé publié par le même Ulysse Chevalier dans son Regeste Dauphinois.

leoncel-abbaye-68.3Au début du siècle, en 1202, Lambert d’Eygluy confirme à l’abbaye les dons de ses prédécesseurs notamment au quartier de Saint Roman et de Combe Chaude. Il reçoit 50 sols (cartulaire LXVI- R.D. 5778). En 12O4, Raymonde, fille de François, seigneur du Royans et épouse de Raymond Béranger, fait don aux frères de Léoncel de 30 sols de cens qu’ils lui devaient pour des pâturages dépendant du seigneur de Châteaudouble et de tout ce dont son gendre les avaient investis.
En 1213, Ponce de Mirabel se donne à Léoncel « corps et âme ». Les moines lui accordent la fraternité de leur maison et de tout l’ordre de Cîteaux. Pour le salut des siens, il fait, à Eygluy, en présence du prieur de Léoncel et du moine Gontard, l’aumône de ses possessions en montagne depuis la balme de Saint Roman et le chemin qui va de Châteaudouble à l’abbaye. Il vient ensuite à la réunion du chapitre de l’abbaye pour confirmer sa donation. Parmi les témoins, on note la présence du prieur casadéen (La Chaise-Dieu) du Chaffal (LXXXV-6536). En 1223, Lambert, fils de Lambert se rend au chapitre à son tour et confirme la donation de son père, pour le salut de son âme et cde celle de son épouse Raymonde.(XC-6703)
Le 15 août 1226, Artaud Tempeste confirme que sa famille a donné, entre autres, un espace qui s’étend depuis la « Sota » du Chaffal au col de Tourniol. (XCVII-6852)
Le 27 septembre 1228, un désaccord oppose Guigues de Suze aux moines de Léoncel. Guigues soutenait avoir acquis des Templiers les biens en montagne que son frère leur avait donnés. L’abbaye prétendait les avoir achetés aux Templiers. Finalement Guigues abandonne à l’abbé tout ce qu’il possédait dans la montagne, de la Pierre Trastorna à la Balme de Saint- Roman et le long du chemin qui va à Châteaudouble. Approbation de sa famille (CII-6956).

leoncel-abbaye-68.4  A Châteaudouble en 1228, Saramand Olivier s’étant donné comme religieux à l’ordre de Cîteaux, la maison le reçoit comme convers. Il fait don d’un pré à Châteaudouble, au territoire de Bourbourée et de 8 deniers de cens perçus sur trois sétérées de terre à Chabrette (CIII-6968). Au cellier de Peyrus, il fait don de 12 deniers de cens que lui faisait la famille Martinenc pour un pré contigu à celui de Lamberlenc (CIII 6969). Les biens donnés par Saramand dépendaient du fief de Guenisius d’Eurre., qui, au cimetière de Suze, devant l’église Saint Romain, abandonne ses droits (CIII-6971). La répétition de CIII, indique qu’Ulysse Chevalier a dans « son » cartulaire regroupé trois textes.
En 1232, Lantelme de Gigors, entrant à l’abbaye et prenant l’habit de l’ordre (frère convers ?) confirme entre autres le don d’une condamine au quartier de la Chauméane que se partagent les Mandements de Gigors et de Châteaudouble, ou, plus précisément, Combovin ( CXI-7128). Son fils confirme. En 1244, au cours d’une grande explication et d’un arbitrage, le nouveau Lantelme de Gigors, finit par confirmer les donations faites par ses prédécesseurs depuis la balme de Saint Roman jusqu’au scialet de Châteaudouble et ailleurs, notamment à la Chauméane. (CXXXIV-8075). En février 1245 lors d’un arbitrage entre le comte de Valentinois et Philippe de Savoie « élu » de Valence (evêque élu mais non encore installé officiellement), confié à Jean, archevêque de Vienne et Barral, seigneur des Baux il est précisé qu’Adhémar de Poitiers tiendra Châteaudouble en franc fief de l’élu de Valence : complexité de la société féodale (Regeste dauphinois 8132). Alors que la guerre des Episcopaux n’est pas terminée !

Enfin, comme on l’a vu ci-dessus dans nos textes n° 62 et 63 , Châteaudouble est très présent, naturellement, dans le conflit qui oppose la communauté villageoise de Charpey et l’abbaye de Léoncel en 1284 puisque la Balme de Saint-Roman et Combe Chaude sont sur son territoire.

leoncel-abbaye-68.5Le MANDEMENT DE MONTELIER est, par contre, plutôt absent de nos textes au XIIIème siècle, sauf comme indication géographique ou réunion importante sur un sujet ne concernant pas cet espace. Il faut se souvenir de la présence dans ce Mandement, des chartreux du Val Sainte Marie de Bouvante, essentiellement en tant qu’albergataires, mais avec l’autorisation de fonder une vraie grange, celle de Grand Laval (voir dans le Cahier de Léoncel n° 18, le bel article de Josselyn Derbier).
En A243 (CXXXII-7999) Montélier est le théâtre d’un arbitrage entre l’abbaye et le prieur de Saint-Félix au sujet des dîmes de l’église de Saint-Martin d’Almenc. L’arbitre est le prieur du Val Sainte-Marie.

LE MANDEMENT DE CHABEUIL est par contre bien présent, même s’il n’est guère question de la grange de Parlanges citée par Innocent III.
Dans la salle du chapitre de Léoncel, le 25 mars 1226, Gontard, seigneur de Chabeuil ouvre à la maison de Léoncel le pâturage dans le Mandement, suivant le chemin qui descend de Châteaudouble vers les Ormes et va droit à Valence vers le Mandement de Montélier, jusqu’à l’Etroit de Combovin. La concession est exclusive de tous les autres religieux sauf les vassaux du château, les Templiers et les Hospitaliers de Valence. Il renouvelle l’exemption de péage accordée par ses ancêtres et leurs feudataires. Sceau de l’évêque de Valence (XCV-6223)
A d’autres occasions, les seigneurs de Chabeuil se montrent généreux envers l’abbé, pas forcément sur place. Leur famille s’éteint en 1275. Dès lors Chabeuil appartient aux Dauphins de Viennois et constitue une enclave delphinale dans l’espace comtal du Valentinois.
Les moines de Léoncel ont beaucoup utilisé l’autorisation donnée de faire paître leurs troupeaux. La population locale a sans doute réagi comme l’indiquent les évènements de 1282. Ceux-ci précèdent de 2 ans le procès entre Charpey et nos cisterciens. Nous n’avons pas autant de documents que pour ce dernier. Quelques un pourtant. Au nom de l’abbé et du couvent, le 10 septembre 1282 (CCXLIV-12471) produit devant Jordanin de Bardonnèche, damoiseau et châtelain de Chabeuil, 17 témoins pour établir le droit du monastère. le 13 octobre 1282 (CCXLV-12486), Jordanin fait écrire par le notaire impérial Geoffroy de Briqueville les dépositions des témoins (16) produits par Ponce Guidoni à propos du pâturage sur le Mandement.
Le 25 octobre 1282 (CCXLVI-12488)., à l’église Saint Andéol, Geoffroy de Briqueville révèle la sentence du châtelain Jordanin de Bardonnèche : au nom du Dauphin comte de Viennois et d’Albon Il reconnaît à l’abbé et au couvent le droit de faire paître dans le Mandement de Chabeuil jusqu’à l’Etroit de Combovin et sur la route de Châteaudouble à Valence vers le Mandement de Montélier. Fait à Chabeuil, à l’église Saint-Andéol.
Le 10 avril 1296, Pierre du Gua, juge de la cour des comptes de Vienne et d’Albon, déjà croisé à Saint-Nazaire et à Oriol, vidime la charte du 25 mars 1225 de Gontard de Chabeuil. (CCLXXVIII-14690)

1er Août 2014 Michel Wullschleger.