XIIIeme SIECLE : ECHOS DES RELATIONS DE L’ABBAYE AVEC LE CLERGE (2)

LES MOINES ET LES EVEQUES

Au début du XIIIème siècle, le territoire qui allait devenir plus tard la Drôme était partagé entre plusieurs diocèses. On trouvera des cartes dans « La Drôme romane », ouvrage collectif publié en 1989 (Plein Cintre Editions avec la collaboration de Patrimoine de la Vallée de la Drôme). Le diocèse de VIENNE incorporait la future Drôme des collines et Romans. Celui de VALENCE dominait le sud du Royans jusqu’à la Bourne, le couloir rhodanien entre Isère et Rhône, l’ enclave de Saou, les pays de Marsanne et Montélimar jusqu’au Jabron et il s’étendait au delà du Rhône sur une partie du Vivarais entre l’Eyrieux et le Doux. A l’est il côtoyait le diocèse de Die. Celui-ci dominait un vaste territoire situé à l’Est de Pont de Barret, de Gigors, de Léoncel et de Saint Jean en Royans. Il comprenait le Vercors au sud de la Bourne et de la partie orientale des Quatre montagnes, avec nuances puisque le diocèse de Grenoble avait de rares positions en rive gauche de la rivière, la vallée de la Drôme, la Motte Chalancon, Aubres, Rousset les Vignes, Grignan, mais aussi une vaste partie du Trièves. Le diocèse de Saint Paul Trois Châteaux s’étendait au sud du Jabron et avait accueilli l’abbaye d’Aiguebelle Les Baronnies étaient partagées entre les diocèses de Gap, de Vaison la Romaine et de Sisteron. Du dernier dépendait notamment le « petit diocèse de Bodon » Les diocèses de Die, Genève Grenoble Valence, Vienne et Viviers constituaient la province ecclésiastique de Vienne.

Le cartulaire de Léoncel montre qu’en dépit des privilèges accordés par la papauté à l’ordre de Cîteaux et notamment celui de l’exemption de la juridiction épiscopale, les moines de Léoncel eurent des relations nombreuses et suivies avec les évêques de Die et de Valence, mais qu’ils en eurent aussi avec l’archevêque de Vienne, soit en tant que tel, soit en tant qu’abbé de Saint-Barnard.

Dans le numéro 555 de la Revue Drômoise (mars 2015) dans un excellent article consacré au Présidial de Valence, tribunal qu’installa Louis XIII dans la ville épiscopale, Alain Balsan nous rappelle avec clarté les traits majeurs de l’histoire de notre région depuis le traité de Verdun.
Appartenant à la Lotharingie le territoire sur lequel allaient se dessiner la Savoie, le Dauphiné et la Provence, fut l’apanage de Charles de Provence, troisième fils de Lothaire, puis participa à l’histoire du « Royaume de Bourgogne-Provence », ou « Royaume d’Arles » avant de passer en 1032, sous la suzeraineté du Saint-Empire Romain Germanique fondé en 962 par Othon le Grand.

leoncel-abbaye-76.1  Il s’agit d’une suzeraineté rendue assez théorique par l’éloignement. Dès le XI° siècle se manifestent les empiétements des évêques et des comtes. Les évêques comtes de Valence ou de Die se rendent maîtres des villes épiscopales et de leur environnement immédiat. D’une façon générale les empereurs, et notamment Frédéric Barberousse, manifestèrent leur volonté de s’attacher la fidélité des évêques, grands feudataires bénéficiant d’une juridiction ordinaire et du pouvoir de faire rendre la justice. A titre d’exemple, retenons que le 23 novembre 1156, Frédéric Barberousse fait donation à Odon de Crussol, évêque de Valence, Alixan, Montéléger, Montélier, La Baume, Livron, Fiancey, Loriol, Châteauneuf, Châteaudouble, Montvendre, Etoile, Allex et Saou. Des confirmations ont été adressées à l’évêque de Valence en 1204, et en 1238 (Frédéric II). De ces espaces, les évêques étaient les seigneurs temporels. Assez rapidement ils en cèdèrent une petite partie, avec la seigneurie, aux chapitres cathédraux qui les assistaient.
Les évêques, comme les puissants laïcs et notamment les comtes de Valentinois et de Diois cherchaient à obtenir des autres familles laïques possédantes, les hommages et donc l’aide militaire éventuelle qui augmentaient leur autorité et leur puissance. D’où des modifications fréquentes dans les groupes rivaux et donc sur le terrain. Les alliances se faisaient et se modifiaient. Entre les prélats et les comtes les querelles débouchèrent vite sur les conflits et les heurts successifs caractérisant ce que l’on a appelé « la Guerre des Episcopaux », Ces épisodes guerriers perturbèrent les diocèses de Valence et de Die depuis 1190, si l’on prend comme date initiale la querelle à propos d’Aurel, depuis 1210 si l’on part de la première vraie bataille avec dévastations et pillages dans les environs de Die, jusqu’au traité de Lyon en 1357. Dans ces affrontements les secteurs les plus chauds étaient, du fait de leur situation géographique, la ville fortifiée de Crest, Aouste, Saillans, le Pays de Quint , mais les affrontements touchaient nombre d’autres secteurs géographiques comme Pisançon, Saint-Médard ou le Diois méridional. Par ailleurs la croisade des Albigeois, les intervention de Raymond de Toulouse soutenant le comte de Valentinois et Diois, le monopole de la création de péages accordé par l’empereur aux évêques et sans cesse transgressé par les Poitiers, le projet larvé d’un royaume d’Arles et de Vienne, l’hérésie vaudoise, les difficultés rencontrées par les évêques de Die dans le Trièves, la progression des dauphins dans le Mandement de Saint-Nazaire et, bien entendu l’attrait des revenus d’autrui, animaient à leur manière les troubles et les rivalités. Enfin le XIII° siècle a connu dans les villes importantes et surtout à Valence et à Die, à Romans aussi, des soulèvements de citadins cherchant à obtenir des libertés croissantes, la noblesse laïque intervenant contre ces mouvements ou cherchant à les exploiter, alors que l’empereur se range toujours aux côtés des évêques comme il le fait également dans leur lutte contre les Poitiers. Indéniablement l’abbaye de Léoncel a pu être bénéficiaire de la rivalité entre les évêques et les comtes de Valentinois, l mais ces derniers, n’appréciant pas la solidarité ecclésiastique allaient se conduire à certaines occasions en seigneurs exigeants du Mandement d’Eygluy.

leoncel-abbaye-76.2  Ces évêques étaient issus de familles puissantes et riches. On remarquera que certains évêques ont été canonisés ou déclarés « bienheureux », qu’il y a eu des « vacances », parfois de plus d’un an, enfin qu’en 1276, le pape décida de confier à un seul prélat les diocèses de Valence et de Die. On ne retrouvera un évêque de Die qu’en 1687, deux ans après la Révocation de l’Edit de Nantes, dans un climat de reconquête du catholicisme dans les milieux protestants.

ARCHEVEQUES DE VIENNE
Aymard de Moirans 1195-1205
Humbert II 1206-1215
Jean de Bernin (légat du pape) 1218-1266
Guy d’Auvergne de Clermont « 1268-1278
Guillaume de « Livron » (ou de « Valence ») 1283-1305)

EVEQUES DE DIE
Humbert 1° (bienheureux) 1200-1220
Etienne II (saint) 1202-1209
Humbert II 1209-1212
Didier (saint) 1213-1221
Bertrand 1223- 1235
Humbert III 1237-1247
Amédée de Grenoble 1250-1275

EVEQUES DE VALENCE
Humbert I 1196-1220
Géraud de Lausanne 1220
Guillaume de Savoie 1226-1238
Boniface 1241
Philippe de Savoie 1241-1267
Guy de Montlaur 1268
Bertrand 1268
Guy de Montlaur 1272-1274
Amédée de Roussillon 1274

EVEQUES DE VALENCE ET DE DIE
Amédée de Roussillon 1275-1281
Philippe de Burnisson 1281-1282
Henri de Genève 1282 – 1283
Jean de Genève 1283- 1297
Guillaume de Roussillon 1297-1331

Dans un article du Cahier de Léoncel n° 7 Marie Françoise Giraud indiquait qu’au XIII° siècle, les évêques de Die apposèrent 31 fois leur sceau sur les chartes réunies dans le cartulaire proposé par Ulysse Chevalier qui en compte 301. Nous savons que l’abbaye se trouvait aux extrémités occidentales du diocèse de Die et qu’un conflit avait opposé à ce sujet les évêques de Valence et de Die au XII° siècle. Les évêques de Valence apposèrent leur sceau 18 fois au cours du XIII° siècle. Ce sceau des évêques était sollicité dans des situations empreintes de gravité mais aussi lors de donations ou d’engagements importants pour lesquels il apparaissait comme une garantie supérieure.
Il n’est pas certain que l’évêque ait été toujours présent. En effet, dans l’entourage de l’évêque plusieurs personnages peuvent représenter le diocèse. Il s’agit notamment du « prévôt » titre porté un temps par celui qu’on appelle aussi le « doyen ». Premier personnage du chapitre épiscopal, le doyen occupe aussi le premier rang dans le diocèse après l’évêque. Il a juridiction pleine et entière sur le chapitre constitué de chanoines, le plus souvent issus des milieux privilégiés et qui ont vocation d’épauler et de conseiller le prélat, ainsi que sur le clergé de la cathédrale Assez souvent les doyens deviennent évêques dans un autre diocèse. Le deuxième dignitaire du chapitre était alors le sacristain qui avait la haute main sur les objets nécessaires au culte et sur les reliques. Il était élu par les chanoines et prêtait serment entre les mains du doyen qu’il remplaçait éventuellement.
A partir surtout de le première moitié du XIII° siècle, on trouve assez souvent les mots official et officialité. Depuis que les évêques et les archevêques n’exerçaient plus personnellement leur juridiction, ils désignaient à cette fin un clerc si possible frotté de droit canonique. Depuis le XII° siècle, l’official exerçait au nom de l’évêque la justice ordinaire de l’église L’official était aussi, jusqu’à l’institution des vicaires généraux, celui auquel l’évêque confiait l’administration temporelle du diocèse en son absence. On désigne parfois cet administrateur par le mot latin « minister ». L’article d’Alain Balsan déjà cité souligne l’importance de la justice épiscopale à Valence et la difficulté qu’aura la monarchie au XVII et XVIII° siècle pour imposer la sienne et supplanter celle du prélat. L’ensemble des personnages importants qui assistent l’évêque, complétés par des notaires impériaux » constitue la Cour du diocèse ou de l’évêque, cour qui ne tarda pas à détenir et à apposer son propre sceau.

leoncel-abbaye-76.3  Il est hors de question de reprendre ici toutes les chartes du XIII° siècle scellées par les évêques, d’autant plus que nombre d’entre elles ont été déjà citées cotées dans notre présentation du XIII° siècle. Par contre nous pouvons en citer un choix qui illustre l’intervention des différents responsables du diocèse.

En 2011, Humbert, évêque de Valence renouvelle la charte de donation de son prédécesseur Falcon faite en 1192 en faveur de l’abbaye dont l’authentique était perdu mais en réservant sa valeur. Il s’agit du champ de la Blache au Mandement de Montélier (LXXII – 6160).

En 1223, Lambert prévôt de Valence alberge des terres à l’abbaye. Sceaux de l’évêque Gérald et de Lambert. (XCI – 6709).

En 1226, Humbert de Châteauneuf ouvre aux frères de Léoncel le pâturage dans toute sa terre du Mandement de Châteauneuf. Humbert, Guillaume « minister » de Valence et le seigneur de Tournon, qui s’est porté garant, scellent le texte. (XCVI – 6833)

Une charte de décembre 1231 évoque une donation à l’abbaye de droits dans les bois du col de Véraud. La charte est rédigée dans le palais de l’évêque, à Die, dans la chambre vieille avec fourneau. C’est l’hiver ! CIX – 7098).
Peu de temps après un autre texte est rédigé et scellé dans la chambre de l’évêque. (CX – 7127).

En novembre 1233 les cisterciens réalisent un achat à proximité de la ¨Part-Dieu. Le texte est élaboré à la Part-Dieu et scellé par Jean, archevêque de Vienne et légat du siège apostolique. (CXVI – 7253).

Au Conier, en décembre 1237, Guillaume du Treuil cède à l’abbaye une terre à Gumandet. Arbert de Chabeuil, doyen de Valence qui avait cette terre dans son domaine approuve et scelle. (CXXIV – 7598).

Le 31 Mai 1247, à la suite d’une transaction entre le prieur de Saint Félix et l’abbé de Léoncel Guillaume, official de la cour de Valence scelle de texte avec le sceau de cette cour. (CXLIX – 8337).

« Après le 28 octobre 1247 » (sic) Jean archevêque de Vienne, vidime le privilège accordé par Innocent IV à l’abbé de Léoncel le 28 octobre 1247 (CLX – 8382).

Le 4 novembre 1261, Guillaume Hugues de Monteil, prévôt de Valence donne en emphytéose à André, abbé de Léoncel, trois pièces de bois aux Pierrettes, contigües au bois du Conier. Le doyen et le chapitre de Valence approuvent. Sceaux. (CCIII – 9780)
En novembre 1285, lors d’une opération foncière intervient Humbert de Genève, notaire impérial, juré de la cour de Valence, dont le sceau est apposé par Girard, official et chanoine.( CCLVI – 1291O).

Le 8 mai 1283, Guillaume, archevêque de Vienne, vidime trois privilèges accordés à l’abbé de Cîteaux par les papes Alexandre IV (janvier 1258) et Hoorius III (24 novembre 1221).

Le 20 décembre 1292, Jean d’Echallon, official de Valence atteste qu’en présence de Jean de Vienne, notaire juré de sa cour, Lantelme Pupella, d’Alixan a vendu à Ponce de Virieu, convers du monastère de Léoncel, 2 sétérées de terre à Bagnols, au mandement du château d’Alixan, confinant à la terre des Ermites, au prix de 40 sols viennois, dont quittance. Assentiment de son fils, sceau de la cour de Valence. (CCLXVII – 14135).

Le 18 juillet 1293 à Léoncel, Jean, évêque de Valence et Die s’étant rendu compte de l’insuffisance des revenus de l’église de Saint Martin d’Almenc, sur Chatuzange, pour l’entretien d’un curé et aussi de la pauvreté de l’église de Saint-Mamans, décide de les unir de sorte que Saint Martin sera une chapelle où le curé de Saint Mamans célébrera une fois par semaine. Le curé jouira des offrandes, revenus liés aux cérémonies funéraires, et de deux sétiers de blé que l’abbé et le couvent de Léoncel s’engagent à lui envoyer à la nativité de la Sainte Vierge ; le monastère percevra les autres dîmes. Les paroissiens recevront tous les sacrements ecclésiastiques dans l’église de Saint Mamans. En cas d’infirmité, le curé leur portera le viatique (sacrement eucharistique reçu par un malade en danger de mort) et entendra leur confession, suivant la coutume générale. Sceaux (CCLXVIII – 14213).

Le 2 octobre 1299, le procureur Gandini et le chapelain Arnaud Girardi, chanoines et courriers des anniversaires de l’église de Valence, échangent avec l’abbé de Léoncel Jacques et l cellerier Guy de Chabeuil, un cens sur un pré au mandement d’Alixan contre sur des terres au même mandement. Sceau du chapitre. (CCLXXXV – 14399).

Il est clair que dans les trois dernières décennies du XIII° siècle, le sceau de la Cour a souvent remplacé celui de l’évêque.

1er avril 2015 Michel Wullschleger.