PREMIERS CONFLITS POUR LE PATURAGE

leoncel-abbaye-131Nous ne savons pas qui, en 1282, s’est offusqué de l’utilisation de pâturages du Mandement de Chabeuil par les troupeaux des moines de Léoncel. Le problème de la légitimité de cette présence hivernale a-t-il été posé par le nouveau châtelain de Chabeuil ou par la communauté villageoise en concurrence avec les moines ? Au contraire nous savons pertinemment que dans le conflit avec qui éclate deux ans plus tard, le plaignant est l’abbé de Léoncel qui n’admet pas que des habitants de Charpey, village de la plaine, conduisent, l’été, du bétail sur le plateau de Combe Chaude.

En bas, du côté de Chabeuil
Le 25 mars 1225 , Gontard , seigneur de Chabeuil donne, à l’abbé Bernard et à la Maison de Léoncel des pâturages dans tout le Mandement, notamment près de la route de Châteaudouble à Valence, le long de la Véore et au-dessus du château, jusqu’aux limites de l’ « Etroit » de Combovin. Cependant les hommes du château, ainsi que les templiers et les hospitaliers de Valence conservent le droit d’y conduire leurs troupeaux. Dans le même texte, il renouvelle les exemptions de péages accordés aux moines par ses prédécesseurs.
Cinquante sept ans plus tard, le nouveau seigneur de Chabeuil, le dauphin Humbert 1°, comte de Vienne et d’Albon, installe comme châtelain, un nommé Jordanin de Bardonnêche, damoiseau.
Le 10 septembre 1282, devant le châtelain et en présence d’un notaire, mais sans que nous connaissions vraiment l’origine de cette démarche, Ponce Guidonis, moine de Léoncel, produit, au nom de l’abbé, seize témoins pour établir par un jeu de questions le droit du monastère à faire paître son bétail au Mandement de Chabeuil.
Le 12 octobre 1282, les témoignages font l’objet d’un examen systématique, et le lendemain, le châtelain fait transc rire par le notaire impérial les dépositions des seize témoins. Puis, le 25 octobre 1282, il rend sa sentence au nom du dauphin. Cette sentence sachions sentence le 25 octobre 1282, au nom du dauphin. Cette sentence reconnaît à l’abbé et au couvent le droit de faire paître leur bétail dans le Mandement de Chabeuil dans les limites indiquées par la charte de donation. Néanmoins, on peut penser que les difficultés ont refait surface quelque temps après, puisque, le 10 avril 1296, à la demande des moines, le juge de la cour des comtes de Vienne et d’Albon « vidime » , c’est-à-dire certifie conforme, la charte de Gontard du 25 mars 1225.

leoncel-abbaye-231En haut du côté de Combe Chaude
Peu de temps après, un deuxième conflit oppose ouvertement l’abbaye à la communauté ou « université » de Charpey. Les villageois reprochent aux moines de ne pas reconnaître leurs droits d’usage sur le plateau de Combe Chaude qui, par sa position géographique constitue pour eux un véritable alpage, fréquenté à la belle saison. Les chartes sont plus nombreuses et explicites et nous permettent de pénétrer au sein même d’une communauté villageoise et de comprendre mieux son organisation et son fonctionnement.
Le 19 mai 1284, l’abbé de Léoncel, Giraud, et les syndics de la communauté s’engagent , sous peine de 50 livres, à accepter la décision que prendront Aymard de Chabrillan, chevalier, et Guillaume Bajuli, châtelain de Crest, tous deux « députés » par Aymar de Poitiers, comte de Valentinois, pour régler le différend qui les oppose au sujet de l’utilisation des pâturages et des abreuvoirs , et de l’exercice d’autres droits usages, sur le territoire de Combe Chaude. Ce même jour l’abbé donne le nom de deux garants, l’un de Châteaudouble, l’autre d’Alixan et les deux syndics de la communauté font de même.
Le 20 mai, l’abbé développe son argumentation. Il évoque les donations des seigneurs locaux et les confirmations pontificales. Lui même et ses prédécesseurs ont fait paître le bétail de l’abbaye sur le territoire de Combe Chaude depuis au moins 40 ans sans qu’il y ait eu contestation. Il rappelle que Combe Chaude relève du Mandement de Châteaudouble, déclare que si les hommes de Charpey ont introduit leurs troupeaux ce n’est pas pacifiquement et il souligne la protestation de l’abbaye. Ensuite il cite plusieurs témoins qui jurent de dire la vérité et répondent à plusieurs questions sur l’occupation et l’appartenance du territoire.
Le 23 mai, réunis à la voix du crieur public, les hommes de la communauté expriment leur volonté de contrer l’abbé et donnent pleins pouvoirs à leurs syndics et procureurs.
Le 24 mai, le vendredi avant la Pentecôte, les syndics de Charpey présentent à leur tour leur argumentation. Ils soutiennen que les gens de Charpey ont joui pacifiquement des pâturages de Combe Chaude, du col des Limouches au col de Tourniol » pendant 50 ans. Ils ajoutent que si les religieux en ont usé, cela n’a pu être qu’en pleine injustice. Et ils demandent à l’abbé d’apporter la preuve des droits qu’il prétend avoir. Leurs témoins se présentent ensuite et répondent à des questions tout aussi orientées.
Les députés du comte assignent à comparaître deux témoins absents le 7 juin et annoncent une audience pur le 10 juin au col des Limouches, pour terminer l’interrogatoire. Les deux parties remettent leurs « instruments » le 11 septembre. De nouvelles comparutions ont encore lieu les 16 et 21 novembre.
Le prononcé de la sentence avait été fixé au lundi avant la Saint-André, un 27 novembre. Ce jour là, dans l’église Saint-Michel de Châteaudouble et en présence de nombreux témoins, les députés du comte, après avoir pris conseil, déboutent les habitants de Charpey et selon le texte « leur imposent le silence ».

Ce procès nous permet de rappeler que la maîtrise de l’abbaye sur Combe Chaude est ancienne comme en font foi des textes du pape Alexandre III et de l’empereur Frédéric Barberousse ; d’évoquer le contexte troublé de la guerre des Episcopaux ; de mieux connaître l’état d’esprit et le fonctionnement d’une communauté paysanne du XIII° siècle; enfin, de poser le problème des relations entre l’abbaye et le comte de Valentinois, seigneur d’Eygluy.

Cette affaire permet encore d’évoquer l’église et la paroisse de Saint-Roman. A plusieurs reprises des chartes les citent. Par confusion avec Saint-Romain de Suze, plusieurs historiens anciens ont situé ce village dans la vallée de la Gervanne, mais les précisions que donnent les chartes et ce que nous savons du devenir de ce quartier permettent d’affirmer qu’il s’agissait d’un village installé sur le plateau avant la fondation de l’abbaye constituant une paroisse du Mandement de Châteaudouble. Victime d’un déguerpissement imposé par Léoncel lors de la création de la grange cistercienne de Combe Chaude (peut-être à Gagnol ?) puis, repeuplé au temps du faire-valoir indirect, Combe Chaude comme on a pris l’habitude de le nommer, constitue ensuite un quartier et une section de la paroisse de Châteaudouble. Ironie de l’ Histoire, au XVIII° siècle les moines de Léoncel recevaient des chanoines de Saint-Ruf du prieuré de Châteaudouble une soixantaine de livres pour desservir la section paroissiale de Combe Chaude !

1° juillet 2010 Michel Wullschleger.