Le nouvel abbé fut , lui aussi, un gestionnaire appliqué et exigeant. Il obtint un arrêt du Parlement, dès mars 1652 pour interdire aux communautés villageoises des Mandements d’Alixan et de Pizançon d’inscrire sur les rôles des tailles les fermiers de l’abbaye. En 1653 un autre arrêt concernait le partage des eaux d’un ruisseau avec le commandeur des Hospitaliers de Saint-Vincent et le seigneur de Montélier, Alphonse de Sassenage. L’abbé accorda aux communautés villageoises de la montagne d’Omblèze et de la Vacherie une extension des surfaces ouvertes à leurs troupeaux. Mais, à propos du pâturage sur le devès et le marais de Léoncel, la sentence arbitrale déboucha sur la plantation de limites et sur le versement à l’abbaye d’un cens annuel de 30 livres. En plaine au quartier du Plantier, l’abbé racheta en 1654 des terres qui avaient été aliénées par Alexandre Faure en 1599. Elles retournèrent à la Part-Dieu. En montagne, en 1655, il racheta 40 sétérées du domaine de Gampaloup, aliénés en 1589. La même année, il signait un accord avec le seigneur d’Eygluy, co-seigneur d’Ambel sur le droit qu’ils s’accordaient réciproquement de construire des granges et bâtiments sur le plateau d’Ambel. On peut rappeler qu’ils possédaient chacun une ferme au quartier de la Chaumate, très proches l’une de l’autre mais côté Mandement d’Egluy pour le seigneur et côté Mandement de Saint-Nazaire, pour l’abbé.
Celui-ci intervint à propos de la maison de la rue Farnerie, située derrière l’église Saint-Jean de Valence L’abbaye la « possédait » (NDLR : propriété éminente ou albergement ?) depuis le XIII° siècle mais elle fut un nid à procès. Arrentée au début du XVI° siècle elle avait été récupérée à la suite du non paiement de la location. Puis Pierre Frère l’avait « vendue » en 1612 à Augustin Ferrandin, son « fermier général », mais sans l’autorisation du chapitre de l’abbaye, ce qui était un cas de nullité de la vente. Vers 1640 cette maison était entre les mains du sieur Antoine d’Alby et les lods étaient dus à l’abbé de Saint Ruf de la directe duquel elle dépendait (NDLR : donc albergement ?). Marc Girard de Riverie fit semblant de vouloir la réunir à l’abbaye. En tout cas il agissait seul sans concertation avec les autres moines de Léoncel. Il en dériva une situation complexe : l’abbé voulant que le sieur Alby verse ce qu’il devait sous la forme d’une pension aux Ursulines de Valence, la sœur d’Alby réclamant à l’abbé le paiement de dettes pour restauration et entretien de la maison. En 1658, la maison était « vendue » à Etienne Eynard puis se trouva réunie à nouveau à l’abbaye ! Notre abbé eut aussi un important différend avec Gabriel de la Croix, seigneur de Pisançon à propos de l’albergement du moulin de Charlieu. En 1380 Charles de Poitiers seigneur de Saint Vallier et de Pisançon avait modifié dans un sens très bienveillant ce contrat en diminuant nettement la rente fixée en grains. Or Gabriel de la Croix exigeait l’ancienne rente en froment, déclarait nuls les albergements de temps d’eau accordés par les moines, refusait enfin de donner des garanties pour la banalité du moulin de Charlieu, banalité dont les moines tiraient des revenus non négligeables. S’en suivit un long et complexe conflit. Mais le moulin concurrent installé sur l’Isère par Gabriel de la Croix fut submergé par une crue de la rivière.
L’affaire de Combe Chaude ressurgit avec violence. On sait qu’en 1627, l’abbé Pierre Frère avait engagé les tenanciers de l’abbaye à refuser de contribuer aux tailles dues par les villageois de Châteaudouble. et que, par un arrêté de la même année, le parlement de Grenoble avait interdit à ces mêmes villageois de défricher, de cultiver et de « faire du blé » sur Combe Chaude, sans autorisation de l’abbé et sous peine de 1000 livres d’amende. Cet arrêt avait été confirmé en 1628. Marc Girard de Riverie, en réaffirmant en 1659 que l’abbaye était en « possession de jouissance » de la montagne de Combe Chaude et du droit de lever la tasche et la dîme à la cote 9 relança la querelle. Les habitants de Châteaudouble posèrent alors un problème de fond : jamais les religieux n’avaient pu établir leurs droits sur des titres authentiques même si, pour l’abbé, Combe Chaude faisait partie de la dotation initiale de l’abbaye. Des libelles assez violents circulèrent. Et, soutenus par Monsieur de la Baume, seigneur du Mandement, les villageois de Châteaudouble posèrent huit questions intéressantes à la cour de Grenoble. :
1…La montagne de Combe Chaude appartient-elle à notre communauté ou à l’abbé ?
2… L’abbé a-t-il le droit d’y percevoir la dîme en gerbes ou en grains ?
3… S’il doit ne la percevoir qu’en grains, ne peut-il être tenu de restituer le trop perçu depuis deux ans ?
4… L’abbé ne doit-il pas la 24ème partie de la dîme aux pauvres, puisqu’il perçoit des dîmes et des tasches sur la montagne sur le pied de 400 sétiers de blé, actuel rendement de Combe Chaude ?
5… L’abbé doit-il ou non entretenir 18 religieux prêtres comme prévu lors de la fondation ?
Et
d’autres aussi selon les fondations faites depuis le temps ou le nombre de 18 était de rigueur ?
6… du fait qu’il perçoit des droits de tasches l’abbé ne doit-il pas au seigneur de Châteaudouble le droit de mainmorte (la moitié des lods de dix ans en dix ans) ?
7… N’est-il pas à propos d’interdire à l’abbé et aux moines d’aller à la chasse ? (Dans un autre texte on peut lire : « ce qui reste à régler est du soin de M. le procureur général de la Justice de la cour qui est de réprimer un abus des religieux de cette abbaye… Leurs soins ordinaires doivent être de prêcher et de catéchiser sans cesse. Au lieu de ces exercice spirituels, ils sont incessament à la chasse, en habits travestis avec des arquebuses et des chiens courants… »)
8… Les quatre particuliers de la Vacherie ne sont-ils pas obligés de payer la taille ? Ne serait-il pas une meilleure solution que les exclure à tout jamais de la faculté de labourer et de faire paître leur bétail à Combe Chaude pour avoir manqué aux engagements qu’ils avaient pris en 1583 ?
Bien entendu les moines conservèrent la propriété de Combe Chaude, perçurent dîmes et tasches , sans payer à la communauté villageoise la 24° partie de la dîme au profit des pauvres. Pour leur part les villageois ne désarmèrent pas.
En mai 1681, l’abbé affermait pour 4 ans le domaine de La Voulpe pour le prix de 300 livres par an et d’une redevance en nature composée de 18 chapons et de…600 œufs.
Le dernier abbé régulier mourut le 29 octobre 1681 à la Part-Dieu. Le roi avait annoncé qu’à la première vacance, le régime de la commende serait installé à Léoncel. Dès le 29 octobre, le lieutenant de la sénéchaussée de Valence et le procureur du roi se déplacèrent pour poser les scellés au domicile valentinois de l’abbé. Ils avaient été devancés par un cocher de l’abbé et un valet de la Part-Dieu venus chercher l’argenterie et des tapisseries sur injonction du prieur Jassoud, soucieux d’en tirer parti pour l’abbaye plutôt que de les laisser au futur abbé commendataire. Les représentants de la monarchie se rendirent le même jour au Conier, puis à la Part-Dieu.. Un inventaire détaillé de 172 articles jusqu’alors à l’usage de l’abbé ( objets religieux, argenterie, tableaux, crosse et anneau, croix abbatiale, carrosse, chevaux), en présence du notaire du Mandement de Pizançon et de divers témoins. Une vente aux enchères publiques, quelque peu surprenante et hétéroclite fut organisée ( mobilier, tapisseries, animaux dont des chevaux et des pourceaux, céréales…).
L’abbé Marc Girard de Riverie fut inhumé à Léoncel.
1er août 2011 Michel Wullschleger.