L’ABBATIAT DE GUILLAUME RAMBERT 1529-1560

leoncel-abbaye-28-1Il n’est pas possible d’ignorer ici le Concordat de Bologne négocié en 1516 entre le roi de France François 1er et le pape Léon X en 1516. Il remplaçait la « pragmatique sanction de Bourges » , ordonnance de Charles VII (Bourges 7 juillet 1438) publiant et validant certains canons du concile de Bâle et considérée comme le premier texte constitutif du gallicanisme : il permettait au roi et aux grands feudataires d’intervenir par recommandation dans les élections des abbés et des évêques. Le concordat de Bologne reconnaissait la suprématie du pape sur l’Eglise de France, mais les nominations, et donc l’autorité réelle se trouvaient désormais entre les mains du roi. Etait donc clairement admis le système de la « commende » associant la nomination par le roi à une simple confirmation pontificale. L’ Eglise se trouvait affaiblie par rapport à l’autorité civile, ce qui ne manqua pas d’entraîner des résistances de la part des chapitres cathédraux ou monastiques dépouillés du droit d’élection. La commende se répandit rapidement dès le XVI° siècle, mais notre abbaye ne devait être atteinte qu’en 1681. Pourtant, d’une certaine façon, les progrès de la tutelle de l’autorité civile se manifestèrent dès l’abbatiat de Guillaume Rambert.
Par ailleurs, devant le succès rapide de la Réforme protestante, l’empereur Charles Quint, œuvra pour la convocation d’un concile général. On envisagea d’installer ce concile à Mantoue, puis à Vienne, enfin dans la ville de Trente, imposée par l’empereur. Le CONCILE DE TRENTE s’ouvrit le 15 mars 1545. Les contacts avec les villes et les princes protestants allemands ne donnèrent aucun résultat quant à leur participation. De1545 à 1563, Se succédèrent plusieurs périodes de travail. Le concile se prononça sur tous les points fondamentaux de la doctrine catholique : Ecriture et Tradition, péché originel, la justification, les différents sacrements (On peut rappeler qu’il existe sept sacrements catholiques : le baptême, la confirmation, l’eucharistie, la pénitence, l’extrême-onction, l’ordre et le mariage. Les protestants n’en admettent que deux : le baptême et la cène), le sacrifice de la messe, le culte des saints et des images. Le décisions prirent la forme de « décrets de réformation » concernant entre autres, la résidence des évêques et des curés, l’institution de séminaires pour la formation du clergé, le cumul des bénéfices, les conditions d’accès aux ordres et aux fonctions ecclésiastiques, la réglementation de la forme juridique du mariage, les synodes diocésains, la visite des diocèses et les peines canoniques. Les décisions de ce concile, initiant la « Contre-Réforme » furent approuvées par le pape Pie IV, en janvier 1564. Mais en réalité ce concile qui débouchait sur un indéniable renouveau de l’Eglise, ne fut suivi que d’assez loin par Rome.
Ancien cellerier de l’abbaye, Guillaume Rambert fut, comme son prédécesseur un gestionnaire attaché à la défense des intérêts de l’abbaye. En 1529, il albergeait à Jean Coctilis d’Alixan, pour l’arrosage, les eaux de la fontaine de Verre, source située un peu au dessus de la grange de la Voulpe dans la plaine de Valence. Un peu plus tard, il affermait aux frères François (Amien et Jacques) les deux moulins et les deux scies installés au devès de Léoncel, avec les édifices, pierres et autres éléments des moulins, avec tout le système de prise d’eau , avec le pré du Borbier (situé au dessous d’un étang alimenté par deux béaux), et ceux de frère Venture et de Berlègue. Le bail de trois ans exigeait le versement annuel de 160 florins . Ce texte nous interpelle car nous ne connaissons avec certitude qu’un seul site de moulin dans la vallée du ruisseau de Léoncel, à l’aval du pont de la Bouverie. En novembre 1540, l’abbé accordait, pour deux ans, à Pierre Bénistan de la Vacherie un bail à ferme sur « l’herbage et l’herbe (le foin) » du devès,, sur des parcelles dépendant des Mandements d’Eygluy, de Châteaudouble et de Saint Nazaire, donc tout autour du monastère. Le preneur pouvait utiliser l’eau d’une «serve ». Le prix à payer s’élevait à 40 florins auxquels s’ajoutaient un quintal de fromage (environ 43 kilos) et un autre de sarraçon. L’abbaye conservait indéniablement la confiance des fidèles. En 1537 Antoine Faure, co-seigneur du Vercors avec l’évêque de Die et son épouse Marguerite Chabert créaient une fondation pour une messe hebdomadaire. La 4 septembre 1544 l’abbaye devint albergataire de la partie d’Ambel que Méraud d’Hostun seigneur d’Eygluy détenait au titre de l’indivision. Pour cette emphytéose, l’abbaye devait payer 200 écus d’or d’introges (droits d’entrée) auxquels s’ajouteraient « tous les ans en la feste de la Toussaint », 10 florins de pension annuelle pour la dotation et fondation de deux messes en l’église de Léoncel, et, également chaque année un cens d’une livre de cire, le paiement au dauphin de la rente de 4 ducats et, pour finir un demi quintal de fromage (soit environ 21 kilos). Comme les autres albergataires l’abbaye devrait éventuellement « le plaid et les lods accoutumés aux dits Mandements d’Eygluy et de Quint ».
En 1557 l’abbaye acceptait un échange avec la collégiale de Saint Barnard. Un chanoine romanais délégué céda la rente que les dits seigneurs chanoines tiraient d’ un tènement de maison en la rue des Faures, maison « appartenant » à l’abbaye en échange de la cense et directe seigneurie du monastère sur un tènement de maison ayant appartenu en son vivant à un autre chanoine de Saint Barnard, rue de la Fuza ou le la Rose.

leoncel-abbaye-28-2Les démêlés entre l’abbaye et ses voisins ne cessaient pas. En 1529, les coseigneurs de la partie d’Ambel relevant des Mandements d’Eygluy et de Quint, l’abbé et le seigneur d’Eygluy et de Quint imposaient une transaction aux villageois de Quint, en fait un « cantonnement dans le temps » de la fréquentation des alpages ouverts aux villageois seulement du 15 août au 15 avril suivant, ce qui permettait aux deux seigneurs de louer les herbages à des « étrangers » à la meilleure époque. En 1531 il fallut régler un différend avec Pierre de Vesc, prévôt du chapitre de Valence et donc automatiquement abbé du Bourg (lès Valence) au sujet d’une rente de 4 livres viennoises et deux fromages, chacun d’une valeur de 6 sols), rente que le chapitre prétendait lui être due sur le site du Conier. En 1546, la fin de l’année vit s’achever un autre différend avec Humbert Reymond, tuteur des hoirs de feu Guillaume Reymond, au sujet des tasches à percevoir sur le domaine de Valfanjouse. La plus grande difficulté vint du procès long et coûteux que l’abbaye eut à soutenir contre Diane de Poitiers devenue duchesse de Valentinois et Dame de Quint. Diane accusait le monastère de faire paître indûment son bétail hors des limites du Mandement d’Eygluy sur le plateau d’Ambel. Elle fit saisir 54 bêtes à cornes., et, en 1557, porta plainte contre l’abbaye devant le Parlement de Grenoble.Les moines possédaient les documents nécessaires (dont la sentence arbitrale de 1303, la transaction de 1529 avec les villageois du Pays de Quint, l’albergement de 1544) et le Parlement leur donna raison en 1562.
Sans doute dans le droit fil du concordat de Bologne, l’abbé Guillaume Rambert fut invité, comme les seigneurs laïques, à fournir le dénombrement de tous les possessions, revenus et charges de l’abbaye,. Nous disposons d’un document qui n’évoque pas les terres et dépendances situées au Mandement d’Eygluy, au Conier et à la Part Dieu, mais dans lequel l’abbé déclarait en 1540 à la Chambre des comptes de Grenoble les rentes et cens perçus par le monastère dans les localités voisines. C’est pour nous une autre manière de rappeler le rayonnement ou l’emprise géographique de l’abbaye : dans la « mi-sénéchaussée de Crest-Arnaud », sont cités les Mandements de Châteaudouble, de Charpey, de Barbières, de Saint-Vincent, de Pélafol, de Beaufort, Plan-de-Baix et même de Marches. Du « bailliage de Valence » sont cités Valence, Bourg (lès Valence) et Alixan, du « bailliage de Saint Marcellin »,Pisançon, Meymans et Saint-Nazaire en Royans. De même l’abbé dut en 1552 communiquer l’inventaire et la valeur des « trésors » de l’abbaye : calices, croix, crucifix, encensoirs, ciboires en argent et, à la Part-Dieu, la crosse du seigneur abbé en bois creux et couverte d ’argent non doré et émaillé, un calice d’argent et une « croix de louthon ( ?) . surdorée » L’abbatiat de Guillaume Rambert s’acheva en 1560, deux ans avant le déclenchement des guerres de religion.

1ER AVRIL 2011 MICHEL WULLSCHLEGER