L’ABBATIAT D’ALEXANDRE FAURE (1561-1604) I. AU TEMPS DE CHARLES IX

Alexandre Faure gouverne l’abbaye de Léoncel pendant la triste période des guerres de religion. Il a laissé le souvenir d’un abbé remuant (on l’a parfois traité d’  » abbé gyrovague « ).Très appliqué à sauvegarder la vie économique de son monastère, il ne résistera pas , après 1574, à la tentation de participer, non sans quelque déboire, aux luttes politico-religieuses. La Réforme s’est répandue depuis la Suisse et l’Allemagne dans toute l’Europe sauf en Italie, en Espagne et dans les régions grecques orthodoxes. En France des ralliements multiples ont hâté l’organisation de l’Eglise réformée. Dans le sud du Royaume , et donc en Dauphiné, le protestantisme a pu apparaître comme libérateur par rapport aux structures seigneuriales. La Contre Réforme catholique a, elle aussi pris de l’ampleur, illustrée par la création de la Société de Jésus par Ignace de Loyola en 1534, par la Commission de réforme fondée en 1536 par le pape Paul III, par le renouveau d’activité de l’Inquisition, par le Concile de Trente (réuni dans des lieux successifs entre 1545 et 1563, par les pontificats de Paul IV, premier pape réformateur actif, et de Pie V qui combat la simonie et suscite une nouvelle rédaction du catéchisme romain, du bréviaire et de la messe.

En France règnent les derniers Valois, François II, Charles IX puis Henri III , fils de Henri II et de sa veuve Catherine de Médicis. Celle-ci joue un rôle essentiel, avec un temps le titre de Régente, mais elle doit compter avec les factions qui se disputent en fait le pouvoir et le royaume. Le parti catholique qui rejette la Réforme a pour chefs les Guise, François, le militaire, et Charles, le cardinal. Ce sont des princes étrangers, puisque lorrains, mais ils se passionnent pour les affaires de France. A la tête des protestants, on trouve Antoine de Bourbon-Vendôme, roi de Navarre, un peu incertain, mais marié à Jeanne d’Albret réformée convaincue, et son frère Louis de Condé. Ils descendent de Saint-Louis et, princes du sang, sont prêts à faire valoir leurs droits à la couronne. Entre les deux camps hésitent le connétable Anne de Montmorency, catholique, et ses neveux Gaspard de Coligny, François d’Andelot et le cardinal Odet de Châtillon, protestants ou attirés par la Réforme. Les efforts de conciliation du chancelier Michel de l’Hospital n’aboutissent pas.

Les troubles se multiplient. Les protestants tentent d’enlever l’éphémère roi François II pour le soustraire à l’influence des Guise. Cette conjuration d’Amboise, soldée par un échec , provoque une sévère répression. Catherine, régente en 1560, domine aisément son second fils, Charles IX. En 1562, le parti protestant connaît une sorte d’apogée. Les chefs catholiques cherchent de l’aide en Espagne (Philippe II) et au Wurtemberg luthérien. Les troupes du duc de Guise massacrent 74 protestants à Wassy, le 1° mars 1562. C’est l’étincelle. Désormais les guerres de religion se succèdent jusqu’en 1589. Pour 1562-63 on peut rappeler la mort, lors du siège de Rouen, d’Antoine de Bourbon (son fils Henri devient roi de Navarre à l’âge de 9 ans : il s’agit du futur Henri IV), la bataille de Dreux, l’assassinat du duc François de Guise à Orléans, les succès protestants dans le Midi et la Paix d’Amboise qui réglemente le culte protestant et donc…l’admet.
Catherine et Charles IX accomplissent en 1564-1565 un voyage à travers le Royaume aux fins de réchauffer les liens entre le peuple et la monarchie. Nous connaissons bien deux de leurs étapes au château de Roussillon, aujourd’hui en Isère, et à Romans. Mais la guerre reprend très vite. En 1567 les protestants ne parviennent pas à enlever Charles IX à Meaux et ils échouent devant Paris. Alors, les passions se déchaînent. Le 24 août 1572 se produit le massacre de la Saint- Barthélemy qui épargne Henri de Navarre et le prince de Condé. En 1573, Henri, le troisième fils est élu roi de Pologne mais son frère Charles IX, psychopathe, meurt en 1474 et le roi de Pologne devient également roi de France en 1574.

Alexandre Faure appartient à une famille du Pays. Il est docteur en droit civil et en droit canon. Un de ses frères, Guillaume, est notaire à Samson, au pied de la montagne. Le premier acte de cet abbé, daté du 16 avril 1562 illustre l’évolution des relations entre les moines de Léoncel et ceux auxquels ils ont confié leurs terres selon des contrats de droit féodal (albergement) ou de droit plus moderne (fermage et métayage. Ce jour là, l’abbé arrente, c’est-à-dire donne à ferme à Humbert Jamonet de la Vacherie, la collecte des dîmes et des tasches qui sont dues à l’abbaye au quartier de Combe Chaude (dîmes : 1 sétier tous les 25 récoltés ; tasches levées notamment sur les essarts : 1 sétier sur 14 récoltés), la collecte des dîmes levées au territoire de Péquinière (1 gerbe sur 9), et encore la collecte des redevances dues aux moines par les albergataires au territoire de Côte Blanche (sur le Mandement de Gigors). Le bail de Jamonet est accordé pour trois ans au prix de 60 sétiers de seigle et de 24 sômes d’avoine (sôme : coffre mis sur le dos des bêtes de somme). Les moines délèguent leurs pouvoirs à des hommes qui parfois s’affrontent dans des enchères pour les exercer et qui conservent une part des recettes en argent ou en nature. Mais le lien direct entre les moines et ceux qui exploitent leurs terres disparaît.

Quinze jours plus tard la lutte va opposer dans le Dauphiné, les catholiques obéissant aux ordres du Lieutenant général du Gouverneur La Motte-Gondrin, dévoué aux Guise et les protestants placés sous le commandement du baron des Adrets qu’ils s‘étaient donnés pour chef. La Motte-Gondrin est assassiné à Valence le jour où le baron des Adrets fait son entrée à Valence. Pour payer ses hommes, le chef protestant taxe la population, fait main basse sur le trésor des églises ( des procès-verbaux évoquent les dévastations et pillages commis aux dépens de la Grande Chartreuse, Saint-Antoine en Viennois, la cathédrale de Valence et la collégiale Saint-Barnard de Romans.), se montre d’une grande cruauté. On peut supposer que Léoncel n’a pas été épargné, même si les moines ont quitté Léoncel pour se réfugier en plaine, à la Part-Dieu mais aussi , au moins temporairement au Conier, comme le suggèrent certains documents.
Des massacres sont commis par les deux camps. En 1562, le baron des Adrets se sépare de ses coreligionnaires. Il est sauvé par la paix d’Amboise en 1563. Une seconde phase commence en 1567 et va durer huit ans, avec des suspensions d’hostilité en 1568 et 1570. Mais le massacre de la Saint-Barthélemy (24 août 1572) relance la guerre. Les protestants ont désigné Dupuy-Montbrun pour succéder au baron. Il remporte plusieurs succès mais il est fait prisonnier au pont de Blacons en 1575, puis condamné à mort par le Parlement de Grenoble et enfin décapité en août 1575 à Grenoble.

leoncel-abbaye-29Vestiges de l’ancienne chapelle du Conier.

Le 17 mai 1563, un édit de Charles IX avait exigé la mise en vente dans chaque diocèse de biens ecclésiastiques pour couvrir les frais de la guerre et entretenir l’armée. Les commissaires députés avaient été autorisés à vendre rapidement les domaines qu’ils étaient habilités à choisir, afin que l’argent soit trouvé le plus vite possible. Le roi autorisait les propriétaires dépossédés à s’entendre ensuite avec les autres membres du clergé pour égaliser les charges et se faire rembourser. Et il leur accordait le pouvoir de racheter les domaines vendus dans un délai de 2 ans, porté ensuite à 30 mois. Au diocèse de Valence, les commissaires choisirent le grand domaine du Conier ; appartenant à l’abbaye de Léoncel. Mis en vente, le Conier est alors acheté par un marchand de Valence pour la somme de 7650 livres. En fait la part incombant à Léoncel ne s’élève qu’à 200 livres. Mais l’abbé Alexandre Faure et les moines de Léoncel ont beaucoup de peine à récupérer la part des autres religieux, et donc à retrouver la somme nécessaire pour le rachat du Conier. Ils ne rassemblent dans un premier temps que 2200 livres. Tenant beaucoup au Conier, ils prennent en 1665 la décision de vendre leur domaine de la Voulpe, proche d’Alixan. Ils le vendent à Jeanne Mistral, veuve et héritière de noble Gaspard Faure , pour la somme de 2700 livres. Le rachat du Conier se réalise comme le confirme le bail à ferme accordé par les cisterciens à Jean Bernard le 5 août 1567. Il s’agit d’un bail de trois ans. Pour ces trois années le fermier doit 2100 livres. En 1571, les moines annonceront qu’ils renoncent au rachat du domaine de la Voulpe. Pourtant on verra qu’au XVII° siècle, ils vont réussir à le réintégrer dans leur temporel De septembre 1567 à mars 1568 la guerre reprend multipliant les désordres et les ruines. C’est alors une vraie guerre civile. A Léoncel l’abside est abattue. En 1567 l’abbaye et la grange sont incendiées, de même que le cellier des moines à Beaufort. En 1568 les protestants du Royans sous la conduite de Raymond Brenier exécutent deux prêtres à Oriol et mettent le feu au fourrage entassé par les fermiers dans le réfectoire de l’abbaye. Au cours de l’année 1570 l’abbé Faure est presque constamment à Léoncel occupé par les nécessaires réparations et par la gestion du temporel (reconnaissances des albergataires, octroi de baux à ferme (par exemple arrentement pour deux ans des deux moulins de Léoncel, des deux scies et des herbages du devès. L’abbé « s’acharne à continuer d’exploiter les biens de l’abbaye et à faire rentrer de l’argent » écrit Joêlle Tardieu. Lors des années 1573-1575, il se réfugie à Valence. Mais il paraît bien peu soucieux de la cohésion de sa communauté monastique et de la vie religieuse de son abbaye.

1er MAI 2011