PREMIERES IMPLANTATIONS EN PLAINE DE VALENCE ET DEBUTS DE L’EXPANSION EN MONTAGNE (1150-1178)

leoncel-abbaye-54.1  En 1150, l’abbaye a treize ans. Cette année là un nommé Guilherme Carmelleneus, dit plus tard Guillaume Camérier, fait avec son épouse , don aux cisterciens de toute la terre de « Parlanges », à l’ouest de Montélier, sur la route directe de ce village à à Valence. En 1153, l’évêque de Valence abandonne aux moines le cens et la corvée que ces derniers lui devaient pour mise à leur disposition du champ de la Blache. En 1171, Odon, évêque de Valence confirme et autorise de son sceau l’accord qui met fin au dissentiment entre les frères de Léoncel d’une part, Guillaume Camérier et son fils d’autre part. Les cisterciens leur abandonnent 33 sétiers de méteil ainsi que les bœufs qu’ils avaient dérobés. Les moines eux-mêmes seront exempts pendant un an du cens de 9 sétiers de seigle et 9 sétiers d’avoine et d’orge à la mesure de Valence dus pour l’utilisation de la terre de Parlanges. Le fils et les deux sœurs jurent sur les évangiles et se portent garants contre une autre sœur mariée à Montvendre. Cet acte a été rédigé dans la maison de Camérier, en présence de témoins.

Dans une charte de 1163 ou 1165, Raymond de Châteauneuf (il s’agit de Châteauneuf sur Isère), à l’approche de sa mort, fait don aux abbayes de Léoncel et de Saint Ruf de tout ce qu’il possède au Mandement d’Alixan, à l’exception des fiefs tenus par des chevaliers. Il était le père de l’abbé Hugues qui gouverna l’abbaye de Léoncel de 1162 à 1166, avant d’être élu abbé de Bonnevaux, fille de Cîteaux. Saint Ruf et Léoncel se partagèrent la donation. L’abbaye de Léoncel acceptait sur plusieurs terres la présence des personnes qui les travaillaient en échange d’un cens en argent ou en nature. La charte rappelle que « longo tempore prius » (« Longtemps auparavant »), Raymond avait donné à Léoncel une condamine au territoire d’Alixan, près du chemin de Torelis, au temps du premier abbé cistercien Burnon, cité comme témoin de ce premier don.. Une condamine était une terre faisant partie de la réserve travaillée au profit du seigneur. Ce texte pose le problème de l’éventuelle acceptation précoce par les moines de revenus dus au travail d’autrui.

En1165 l’abbaye acquiert un manse à proximité du prieuré de Coussaud, Ce manse allait devenir, sous le nom de la Voupe, un des futurs grands domaines affermés par les moines. Hugues Rainaud avait engagé son manse au prieur de Bourg-les-Valence pour 660 sols. Il le cèda ensuite à Pone Galateu pour 500 sols. Mais quand il se donna à l’abbaye de Léoncel, il fit présent de ce manse entre les mains de l’abbé Hugues, en présence d’Odon, évêque de Valence. Les moines de Léoncel remboursèrent les deux sommes. Le frère de Hugues, Guenisius e Châteauneuf, reçut 400 sols pour son consentement. Peut-être s’agissait –il d’un élément de l’héritage de Raymond de Châteauneuf ?

En 1165, au mois de juillet, une première bulle du pape Alexandre précisant les biens de l’abbaye nous permet de faire un premier point concernant les principaux espaces dominés alors par les cisterciens : « le lieu dans lequel est située l’abbaye avec ses dépendances », soit le monastère et la ferme attenante, la grange de Combe Chaude, dont il sera question dans le prochain texte, le cellier de Saint Julien, ancien village repris dans le site plus tardif de Beaufort sur Gervanne), les granges du Conier, celles de Parlanges, celle de Lens-Lestang, en Valloire). On note la multiplication des « granges », exploitations agricoles mises en oeuvres par les frères convers. C’est « le temps de l’économie grangière ».

La même année Guillaume de Clérieux dit « l’abbé de Saint-Félix de Valence » fit don à l’abbaye de la métairie et de la terre de Bessey, quartier d’Alixan). Odon, évêque de Valence, sur le conseil de son chapitre confirma cette « donation » faite sous le cens de 12 deniers à verser à l’abbé de Saint Félix quel qu’il soit. Nous retrouverons le surprenant Guillaume de Clérieu lors de la fusion de la Communauté de la Part-dieu avec l’abbaye en 1194.

leoncel-abbaye-54.2En 1169, Lantelme de Gigors, avec l’accord de Gotolende,son épouse, et de son fils Lantelme, donna aux moine le pâturage de la Chauméane jusqu’au lieu dit la Chaudière , ainsi qu’une condamine dans le même secteur. Il confirma ce don devant le couvent réuni et reçoit 120 sous (6 livres) en monnaie de Vienne.
En 1183 Lantelme fils affirme que son père n’avait pas donné à l’abbaye le droit de pacage sur toute la montagne du Désert et porte plusieurs attaques contre eux. Mais, « comme la vérité finit toujours par écraser le mensonge et que la justice a raison de l’infamie », il reconnut le don de son père et et donna le droit de pâturage sur toute la montagne du Désert et aussi sur Ambel et sur le territoire de Gardi, et finalement sur toutes ses possessions. Il existe deux lieux dits « Gardi » , l’un s’insère entre le col des Limouches et Pierre Chauve, l’autre désigne un « pas » permettant de passer du Pêcher d’en Haut au creux de Chanaud plus oriental. Il s’agit ici sans doute du premier nommé. Il leur donne en plus le droit qu’il avait sur tout le territoire de Tourniol et sur la terre qui jouxte le bois contigu à l’abbaye : les moines contrôlent donc le chemin de Léoncel à Barbières. Ils donnent 60 sous à Lantelme et 30 toisons de moutons à son épouse. Lantelme vient au chapitre de l’abbaye, confirme sa donation et pour que ses déclarations soient valables pour toujours, il pose l’évangile sur l’autel de Sainte Marie et recommande de renforcer cette charte par le sceau de Pierre, évêque de Die.

En 1169 est élaborée une charte de convenance entre les moines de Léoncel et les chanoines de Saint-Félix « Les chartes ont été inventées pour conserver la mémoire des évènements, de ce que nous savons sans l’avoir vu et sans l’avoir entendu nous le savons par la lecture ».Après plusieurs contestations, il est convenu que les chanoines de Saint Félix de Valence abandonnent aux religieux de Léoncel les DIMES du territoire du Conier et de la métairie de Bessey , au territoire de Parlanges (qui va de San Iterio à la route de Montélier et du chemin royal à la terre de l’Hôpital ( c’est-à-dire des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem), SOUS LE CENS ANNUEL de 40 sétiers de froment, seigle, orge et avoine). Hugues, prieur de Saint-Félix donne en outre aux frères de Léoncel les terres du Pont sous le cens de 4 sols. En présence d’Odon, évêque de Valence, d’Hugues, abbé de Bonnevaux, Guigues évêque d’Amelia, Giraud, abbé de Léoncel, du prieur Jean , et de chanoines de Valence. . Ce texte ouvrait un temps de paix avant des périodes plus mouvementées en ce qui concerne les relations des deux monastères.

En 1173, Odon, évêque de Valence, confirme aux moines es ossessions dont ils sont investus : la Blache, les deux Coniers (sic), plus tard, fondements du plus vaste des domaines affermés de l’abbaye, les terres de Parlanges, de Bessey et ce qu’ils tiennent des « églises » (ici : monastères) du Bourg et de Saint Félix . Il les exempte de taxes pour leurs achats et ventes à Valence. Rappelons que l’évêque de Valence, en est aussi le comte dans le cadre du Saint Empire romain-germanique. Par contre il n’est pas comte de Valentinois d’où les difficultés, et bientôt la guerre, entre l’évêque et la famille des Poitiers, comtes de Valentinois.

leoncel-abbaye-54.3En montagne, en 1173 très importante donation de Lambert de Flandènes (Flandènes : château sur le territoire de Saint-Martin le Colonel dans le Royans).Il accorde aux moines le droit de pâturage « dans tout ce qu’il a ou pourrait avoir » depuis le col de Bioujusqu’à Beau Gontard ( ?), au col d’Omblèze (futur col de la Bataille), au Chaffal et de là au col de Tourniol ainsi que sur le territoire de Flandènes. A perpétuité : « ni lui, ni les siens ne feront de tort à l’abbaye » Celle-ci donne 300 sols au titre d’introges et un cens annuel de 5 sétiers de froment et 5 d’avoine (mesure du Royans). La famille des Flandènes renoncera assez vite au versement des sétiers, donc au cens et l’abbaye pourra à juste titre se considérer comme propriétaire éminent.

En 1174 Guidelin de Royans (avec l’assentiment de Flote, son épouse) et ses fils donnent à l’abbé Ponce et aux frères de Notre-Dame de Léoncel des droits sur la montagne ou territoire de Musan dont on détermine les confins, sauf à s’entendre avec ceux qui auraient le villenage. Il donne de plus le droit de pâturages sur leurs terres, de la Lionne à la Bourne et de celle-ci à l’Isère, sauf le passage des frères chartreux du Val Sainte-Marie et de leurs troupeaux hivernant en plaine, un jour ou deux par an et l’exemption de péage et de leyde. Ils reçoivent comme investiture 300 sols de monnaie de Vienne.
En 1176, la seconde bulle d’Alexandre III consacrée aux biens de l’abbaye de Léoncel enregistre les progrès accomplis. Rédigée à Agnani le 2 avril elle ordonne le respect de la Règle de saint Benoît suivie par l’ordre de Cîteaux et confirme les possessions sur le site de Léoncel aoinsi que les granges du Conier, de Parlanges, La Voupe, Lens-Lestang (et non LENTE comme on l’ a cru longtemps), Combe Chaude, Momont (espace proche du col d’Anse), Charchauve sur le chemin de Saint-Julien à Léoncel, Chauméane (plateau ou montagne du Désert), Valfanjouse, Bioux, Musan et la terre de Biérin à Chabeuil. Il exempte les moines du paiement de dîmes, autorise la présence de novices clercs ou laïques défend aux profès de quitter le monastère sans autorisation de l’abbé.

Maîtrisé dans le cadre juridique du XII° siècle grâce à des contrats d’accensement, des donations d’espaces ou de droits divers, des achats aussi, se trouve ainsi esquissé en quelques décennies un espace cistercien associant la partie occidentale des montagnes que nous appelons aujourd’hui le Vercors et la plaine de Valence. Ce domaine temporel allait encore être l’objet d’une forte expansion géographique et d’une plus grande précision juridique dans le cadre de la société féodale.

1er Juin 2013 Michel Wullschleger.