XIIIème SIECLE : QUELQUES CHARTES D’UNE PORTEE ORIGINALE

leoncel-abbaye-58.1  Le cartulaire de Léoncel, proposé par Ulysse Chevalier présente 236 chartes du XIIIème siècle. La plus grande partie d’entre elles traitent du domaine temporel de l’abbaye et évoquent ses implantations géographiques, la résolution de problèmes juridiques, et parfois des difficultés particulières. Elles nourriront pendant quelques mois, notre chronique historique du XIIIème siècle, qui voyagera successivement dans les différents secteurs géographiques d’activité de nos moines cisterciens. Une série plus modeste de textes propose des éclairages différents. On peut se permettre d’y joindre de rares pièces d’archives non présentes dans le cartulaire mais évoquant ou concernant Léoncel. Il convient de rappeler d’entrée de jeu que dès 1201, le pape Innocent III confirmait les possessions de l’abbaye. Aux noms de lieux cités dans les bulles de 1165 et 1176 d’Alexandre III, un de ses prédécesseurs, et dans le « diplôme » de 1178 de l’empereur Frédéric Barberousse, s’ajoutent ceux fort importants du pâturage d’Ambel et du cellier de Peyrus. (cartulaire n°65).

Ce conflit connu sous le nom de « guerre des épiscopaux » va durer un siècle et demi jusqu’au Traité de Lyon en 1356, et faire régner un climat d’incertitude, de troubles et parfois de désolation, même s’il ne s’agit le plus souvent que de combats limités en ce qui concerne le nombre de participants et l’importance des enjeux, sauf lorsqu’il s’agit du contrôle de la ville de Crest fortifiée et en position stratégique. Les moines de Léoncel firent l’objet d’une sorte de surenchère de la part des deux camps et leur position, déjà délicate du fait du caractère essentiel de leurs relations avec les évêques allait se compliquer encore. En montagne ils relevaient du diocèse de Die et en plaine de celui de Valence. Mais, en fait, ils se trouvaient en plaine sous la juridiction du comte. En montagne leur position allait se détériorer à partir du moment où, en 1210, vers les comtes de Valentinois devinrent seigneurs du Mandement d’Eygluy sur le territoire duquel était installé le monastère ! Cette guerre devait finalement tourner à l’avantage du comte de Valentinois. Mais les évêques allaient conserver dans leur titulature les titres de comtes de Valence et de Die. Dès 1275, dans le but de conforter la position de l’Eglise, le pape décida de confier les deux diocèses à un seul et même « évêque de Valence et de Die ». Il n’y aura de nouveau deux titulaires qu’en 1687.

En 1238, Amédée Moine élut sépulture dans le cimetière de l’abbaye de Vernaison et donna à cette maison des terres dont les revenus seraient utilisés pout honorer l’anniversaire de sa mort. Son testament ordonnait des legs à plusieurs églises, à des confréries, aux couvents du Val Sainte Marie ( chartreux de Bouvante), de Léoncel, de Marnans (chanoines augustins) de Val Bressieux (moniales cisterciennes), et de Bonnevaux, abbaye mère de Léoncel. (Archives de Vernaison)

leoncel-abbaye-58.2Datée du 28 octobre 1247, une lettre adressée de Lyon par le pape Innocent IV à l’archevêque de Vienne et à ses suffragants (Grenoble, Valence, Die), aux abbés, prieurs, doyens, archidiacres, prévots, archiprêtres et autres prélats de la province de Vienne, leur mandant de prendre la défense de l’abbé et des frères de Léoncel, ordre de Cîteaux et diocèse de Die qui se sont plaints auprès de lui de continuels préjudices et du défaut quotidien de justice. Voici l’essentiel du texte :
« Ce n’est pas sans douleur et de vives inquiétudes que nous apprenons que dans certaines régions les censures de ‘église et les jugements canoniques demeurent sans force et sans efficacité. Des hommes voués à la vie religieuse, ceux là même que le saint siège a doté de plus grands privilèges et exemptés de toute servitude sont en butte aux outrages de malfaiteurs ennemis qui pillent leurs biens, et pendant ce temps personne ne se lève pour les défendre et s’opposer, comme une muraille, à l’oppression du pauvre et de l’innocent. Nos chers fils l’abbé et les frères de Léoncel, ordre de Cîteaux, dans le diocèse de Die, se sont plaints à nous des tords qui leur sont faits et de l’abandon dans lequel les laisse la justice : ils nous ont prié de vous écrire pour réveiller votre zèle, afin qu’au milieu de leurs tribulations vous déployez une ardeur généreuse contre leurs ennemis, ce qui leur permettrait, dans l’angoisse qui les oppresse, de respirer un peu. C’est pourquoi nous vous prions et vous enjoignons par les présentes lettres apostoliques, de frapper d’excommunication ceux qui se sont emparés des biens meubles ou immeubles, de ces religieux, et qui les détiennent, biens qui leur ont été légués par les testaments de pieux fidèles ; tous ceux qui au mépris des privilèges accordés par le saint siège, prononcent des sentences d’excommunication ou d’interdit contre ces mêmes religieux ; tous ceux, enfin, qui voudraient leur arracher les dîmes des terres qu’ils possèdent antérieurement au concile général (leur ordre étant antérieur à ce concile) et qu’ils cultivent de leurs propres mains ; leurs oppresseurs , s’ils sont laïques, vous les excommunierez dans vos églises, avec les cierges éclairés ; s’ils sont clercs, chanoines ou moines, vous les déclarerez suspens de tout office et bénéfice, jusqu’à ce qu’ils aient pleinement réparé leurs torts. Laïques ou clercs, qui pour ce fait auront encouru l’excommunication, ne pourrons être absous que par nous, en venant auprès du siège apostolique munis de lettres de leurs évêques. Donné à Lyon, le 5 des calendes de novembre (28 octobre 1247), l’an V de notre pontificat ». ( cartulaire n° 153).Une autre charte annonce que l’archevêque de Vienne a authentifié la lettre pontificale.(cartulaire page 160).

leoncel-abbaye-58.3Le 27 novembre 1250, le même pape Innocent IV, dans une lettre à l’abbé et au couvent du monastère de Léoncel prenait encore la défense de nos cisterciens, les exemptant de payer comme les séculiers des péages pour les achats à leur propre usage sur les marchés et les transport du blé, du vin, de la laine et d’animaux. ( cartulaire n° 164)
On peut rappeler ici que les campagnes étaient les premières à éprouver les conséquences des guerres féodales : une certaine anarchie, les destructions de récoltes, l’incursion de brigands et le pillage Les propriétés religieuses étaient bien moins défendues que celles des seigneurs laïcs. Peut-être faut-il rappeler aussi la très grande extension du domaine temporel des moines, à la faveur de l’oubli des prescriptions de la règle primitive concernant les acquisitions à titre onéreux. Le succès de l’économie « grangière » fondée sur le faire valoir direct des cisterciens de Léoncel leur avait donné des moyens pour s’agrandir mais suscitait peut-être aussi de l’hostilité ? (« Qui a terre a guerre »)

Le 15 novembre 1256, le testament d’Humbert Peloux, seigneur de Rochefort faisait connaître sa volonté savoir d’être enterré dans le cimetière de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem. Il lèguait de quoi offrir un repas (convivium) –on pourrait dire une « pitance » — aux moniales de Vernaison, aux moines de Léoncel, du Val-Sainte-Marie et de l’hôpital de Saint Vincent (aujourd’hui Saint-Vincent la Commanderie). Il instituait pour héritier universel son fils Pierre Peloux. Il déshéritait les frères Guigues et Hugues Bernard, en raison des mauvais procédés de leur père Josserand et d’eux-mêmes à son égard. Profitant de ce qu’il était malade, ils avaient tenté de lui enlever le château de Rochefort. (Archives de l’Isère)
En mars 1257 ou 1258, depuis Longpont, aujourd’hui dans l’Aisne, Alfonse, comte de Poitiers et de Toulouse confirma au monastère de Léoncel l’exemption de péages autrefois accordée par Raymond de Narbonne, comte de Toulouse et marquis de Provence (exemption intéressante pour le transport du sel). Alfonse, cinquième fils de Louis VIII, frère du roi Louis IX, avait épousé Jeanne de Toulouse, fille de Raymond VII et était devenu comte de Toulouse. Il prépara l’annexion du comté au Royaume de France. (cartulaire n°189).

Abbaye de Leoncel leoncel-abbaye-58.4En 1260 un curieux texte évoque un accomodement à l’amiable entre Jean de Die, moine de Léoncel, et Guionet, baile de l’église de Valence, au sujet des coups portés par ce dernier à Guillaume Maczot convers de l’abbaye. Quatre sceaux furent apposés sur ce texte de réconciliation. (cartulaire n° 195).

En 1298, le chapitre général de l’ordre de Cîteaux enjoint à toutes les abbayes des provinces d’Embrun et de Vienne de payer leur quote-part de la contribution imposée à tous les couvents pour la défense de l’ordre dans l’octave de la purification à Lagny sur Marne sous peine d’excommunication ou de déposition. ( Regeste dauphinois 15 207)

Le 27 mars 1303, Girard de Romans, official de Valence authentifiait devant Barthélémy de Privas, notaire juré de la cour de Valence, le privilège de Boniface VIII du 18 décembre 1302 exemptant l’abbaye de Cîteaux de payer les dîmes « novales » (sur des terres défrichées et nouvellement cultivées par les cisterciens) . (Archives Drôme).

Notre prochain texte évoquera l’histoire de l’abbaye dans la bassin hydrographique de la Gervanne au XIIIème siècle.

1er Octobre 2013 Michel Wullschleger.