Un site très « cistercien »

Les chroniques de Léoncel, 2

Les préceptes de leur ordre invitent les cisterciens à s’installer « dans des lieux à l’écart des hommes ». Lorsqu’ils choisissent Léoncel en 1137, les moines venus de Bonnevaux en Viennois trouvent, à 912 mètres d’altitude, l’isolement et le silence qu’ils recherchent.

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Le val de Léoncel (cliché MW)

Nous sommes dans le grand val le plus occidental du Vercors, un val en forme d’arceau avec sa double pente vers le Royans au nord, vers la vallée de la Gervanne au sud. Léoncel se situe à 912 mètres. Au nord, étroit, dominé par le grand versant de l’Epenet, puis de Musan, occupé par le « Ruisseau de Léoncel » jusqu’à son confluent avec la Lyonne, le val s’abaisse rapidement pour se confondre au-delà de Tamée avec le grand synclinal du Royans. À Léoncel, il s’élargit en une petite plaine de montagne, de quelques centaines de mètres de large et de quatre kilomètres de long jusqu’au seuil de La Vacherie (935 m.). Relativement horizontale, elle juxtapose une grosse source, une zone humide, des prés et des terres à défricher et à cultiver. Les moines installent à proximité de la source, à l’extrême nord de cette plaine, leur monastère et leur première exploitation agricole ou « grange ». Au sud de la Vacherie, le val plonge vers le sud et la Gervanne, par le creux du Pêcher. Le relief se complique et s’anime du fait de la conservation sur la carapace de calcaire urgonien du crétacé inférieur armant l’essentiel du massif, de terrains plus récents et notamment du calcaire turonien de la fin du crétacé, en position de synclinal perché constitué par Le Vellan et les Grandes Pennes, et dans lequel la Gervanne a taillé les « gorges d’Omblèze ».

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Un large val (cliché MW)

À l’ouest du val de Léoncel, le Vercors domine la plaine de Valence, véritable espace de circulation, diversifiée par la juxtaposition de collines résiduelles de molasse, de cônes de déjection bâtis par les torrents du Vercors et par des terrasses alluviales étagées. Au nord de Beauregard-Baret et au sud de Barcelonne, il le fait par l’intermédiaire d’un grand versant unique souvent couronné de falaises. Entre ces deux villages, le contact se complique. L’érosion ayant installé dans l’axe d’anciens plis bordiers une série continue et oblique de combes comme celles de Combovin, Peyrus ou Saint-Genis, c’est par deux talus successifs que le Vercors domine la plaine, talus de hauteur inégale et inégalement couronnés de falaises. Dans ce schéma, l’alignement de reliefs le plus occidental, toujours le moins élevé, se trouve sectionné à plusieurs reprises par des « portails » naturels qui laissent passer les eaux et les hommes et que gardent les villages du pied des monts comme Peyrus ou Barbières. Au sud du col de Tourniol, le massif s’élargit et les plateaux calcaires ondulés de Combe Chaude, de Combovin et de Gigors s’intercalent entre le val de Léoncel et les falaises dominant la plaine de Valence. Sortes de « Causses », ils offrent des terrains de parcours pour le bétail, quelques secteurs boisés, et des promesses de culture céréalière sur la « terra rossa » des dolines dont la longue et riche « Combe chaude » reste la plus impressionnante.

À l’est du val de Léoncel et au nord du marais, des failles ont transformé un pli d’allure tabulaire en un escalier géant de plateaux étagés, du plus bas portant le col de Biou et Valfanjouse jusqu’au plus élevé associant la forêt et les pelouses de la Saulce. Du côté du couchant ces plateaux « chevauchent » quelque peu le val de Léoncel ce qui explique en partie son étroitesse au nord de l’abbaye. Plus à l’est encore le relief est animé par la longue coupure méridienne (nord-sud) qu’inscrivent les combes de Bouvante et d’Omblèze. Creusée dans un ancien pli par l’érosion, à la faveur de cassures, cette coupure n’est interrompue que par la haute passerelle du col de la Bataille située aux confins des réseaux hydrographiques de la Lyonne, sous-affluent de l’Isère et de la Gervanne, affluent de la Drôme. Ce col, un des plus beaux sites de tout le massif, ménage un passage facile à plus de 1300 mètres d’altitude vers de hautes tables ondulées, portant forêt ou pâturage d’altitude, dont le plateau d’Ambel destiné à jouer un rôle important dans l’économie cistercienne. Ambel est dominé par la pyramide de Toulau (1581 m), vestige de l’ancien pli. Un peu plus au nord, le Serre de Montué porte à 1706 mètres le point culminant de tout le Vercors occidental.

Riche d’une forte source alimentée par les précipitations infiltrées dans la masse calcaire du plateau de Combe Chaude, du ruisseau nourri par une étonnante zone humide, des horizons plats d’une plaine insérée dans la montagne et de la proximité d’immensités forestières ou herbeuses, Léoncel offre en 1137 une sorte d’épure des sites recherchés par les moines cisterciens.

Longtemps la montagne n’a été soumise qu’aux entreprises saisonnières de populations qui ne l’habitaient pas. Mais depuis le début de la période de réchauffement climatique qui court de 950 à 1250, des villages se sont créés et toute une organisation territoriale s’est mise en place.

Qu’en est -il alors de l’environnement humain de Léoncel ?

1er janvier 2009, Michel Wullschleger.