L’OEUVRE DE DOM PERIER AVANT L’INSTALLATION DES MOINES EN PLAINE DE VALENCE (1739-1757)

  leoncel-abbaye-39.1 Dom Pierre Périer, dont la signature sur ses nombreux écrits nous autorise à orthographier ainsi son nom, bachelier de théologie en Sorbonne, prieur claustral de l’abbaye de Bellaigue au diocèse de Clermont depuis 1736, fut désigné par l’Ordre de Cîteaux en 1739 pour diriger la communauté des moines de Léoncel, désormais bien modeste Celle-ci en effet ne comptait plus que quatre moines Jean-André Fournel, curé de Léoncel, Jean Périer, frère du prieur, Jean-Baptiste Reymond, un temps accusé d’assassinat, et Guen Laboricière, un breton. Le nouveau prieur allait diriger cette petite communauté pendant 37 ans. Très forte personnalité il manifesta beaucoup d’énergie dans la mission qu’il avait reçue de redresser la situation financière et morale de la communauté monastique. Mais il connut une fin de parcours condamnable et fut relevé de ses fonctions.

Le redressement financier de l’abbaye
Dom Périer s’appliqua à suivre de façon rigoureuse les recettes et les dépenses de l’abbaye, entreprit de rembourser les dettes et, pour y parvenir chercha à tirer parti de la richesse forestière du domaine montagnard. Dès 1739, il proposa au duc de Tallard, seigneur du Mandement de Saint-Nazaire, heureux de cette initiative, de vendre des coupes de bois dans l’espace indivis entre l’abbaye et le seigneur laïc, espace défini par la draille des moutons entre le col de la bataille et le col de Toulau, puis le très connu scialet de la Chomate et, en ligne droite, le Pas de l’Aubasse. Le marché fut conclu à Grenoble entre d’une part les copropriétaires et d’autre part, pour les 2/3 de l’opération Antoine et Joseph Blanc, père et fils, et pour un tiers avec Guillaume Roybet, tous métallurgistes à Saint Laurent en Royans. Mal renseigné, sans doute, Périer accepta le plan établi par Jean Baptiste Bœuf en 1739, qui, englobait fâcheusement des espaces relevant du Mandement d’Eygluy, également indivis, mais entre le seigneur d’Eygluy et l’abbaye. Le marché ayant été renouvelé en 1755, et l’erreur persistant, on allait assister à une réaction de la part du seigneur d’Eygluy que l’héritière du duc de Tallard, Madame de Sassenage, dédommagea à l’amiable, mais assez lourdement (7000 livres !), ce qui permet d’imaginer l’importance des recettes forestières. On pourrait s’étonner aussi qu’en dépit de la visite à Léoncel en 1726 de la Commission pour la Restauration des forêts, le prieur de Léoncel fasse si peu de cas de ses recommandations et exigences. De fait, dès 1756, la Maîtrise des Eaux et Forêts de Die et son « Maître particulier » Charles Reymond manifestèrent leur inquiétude. Charles Reymond appartenait à la famille propriétaire de Valfanjouse qui entretenait de très mauvais rapports avec l’abbaye. Au cours d’une visite sur Ambel, il qualifia de « désastre » les coupes vendues par les deux co-seigneurs.
leoncel-abbaye-39.2Grâce à ces contrats mais aussi à une gestion plus stricte, Périer put rembourser les dettes de l’abbaye qu’il reconnut habilement devant le Parlement de Grenoble. Il s’appliqua à faire rentrer les créances que possédaient les moines, remboursa aux Ursulines de Romans une somme de 5.280 livres et colmata d’autres brêches par le jeu d’emprunts habiles.
Faisant l’objet d’une première étude dans le Cahier de Léoncel n° 9 (« Les Abbés commendataires de Léoncel 1681-1790 » avril 1993), à partir des Archives départementales (1H747 à 1 H 751) les comptes de Dom Périer permettent de mieux connaître la nature des recettes (fermages,—dîmes ,cens et droits divers— vente de produits agricoles et revenus de la forêts— recettes extraordinaires : droits de pulvérage et d’abreuvage, lods payés par des tenanciers « vendant » leur censive… ) et des dépenses (charges permanentes, vie quotidienne de la maison dont de surprenantes dépenses de nourriture et de boisson et une cure thermale à Balaruc, dépenses extraordinaires : arpentage, réparations, cadeaux et dons).
Dès le 6 mai 1740, , en visite à Léoncel, le vicaire général de l’ordre pour le Dauphiné, l’abbé et seigneur de Saint-Sulpice (dans le Bugey, certifiait l’exactitude des comptes et félicitait Dom Périer pour sa gestion financière et l’important recul des dettes.

La restauration et le rappel des droits de l’abbaye
Dom Périer, s’inscrivant dans le courant que l’on a baptisé « la réaction nobiliaire », chercha à restaurer les droits féodaux de l’abbaye de Léoncel, but qu’il conservera jusque dans les années 1770. Il entreprit très vite aussi de mettre de l’ordre dans les titres et papiers du monastère et confia cette tâche à un nommé Joïeux, feudiste, qui mit au point un « inventaire et répertoire général des titres, papiers, documents et terriers de l’abaïe de Notre Dame de Léoncel, ainsi qu’ils ont été cottés, numérotés et rangés par enchartes dans les archives de la dite abaïe, cette présente année 1750 ».

leoncel-abbaye-39.3Un grand intérêt pour les acteurs de l’économie monastique.
Les liasses d’archives de l’époque de Dom Périer soulignent son intérêt personnel pour les fermiers, grangers (métayers) et tenanciers de l’abbaye. Ainsi, dans une page consacrée aux comptes de la « grange » de Léoncel, voisine de l’abbaye, pour l’année 1745, Périer évoque une vente pratiquée par le granger en date du 10 août : vente de la laine de 270 moutons, à 2 livres 5 sols par tête, de 4 veaux, de 2 paires de bœufs, de 21 agneaux, le total s’élevant à 1495 livres et 1O sols. Avec le produit de la vente, le granger a acheté 3 bœufs, 8 veaux, 24 agneaux. Dom Périer déclare avoir partagé le solde entre l’abbaye et le granger. Et il fait ensuite le recensement du nouveau cheptel du domaine à la date indiquée, citant 274 moutons, 67 agneaux, 4 paires de bœufs, 5 paires de veaux, 3 juments, 1 poulain, 1 vache, appartenant moitié au granger, moitié à l’abbaye. Pour cette année 1745, la vente majeure eut lieu à la fin d’octobre (« aujourd’hui dernier d’octobre 1745 ») et rapporta 2 247 livres. On entrait alors dans la mauvaise saison et il convenait de « dégraisser » le troupeau.. Dom Périer pratiquait de même avec les autres exploitations montagnardes, Gampaloup, l’Echaillon, le Serre du Lion. Il s’intéressait particulièrement aux domaines les plus hauts en altitude, ceux de la Saulce et d’Ambel. pour lesquels il en viendra à repenser complètement l’exploitation.

leoncel-abbaye-39.4Un homme de confiance pour l’0rdre de Cîteaux
Dom Périer eut longtemps la confiance de ses supérieurs. En 1741, son ancien condisciple en Sorbonne et futur abbé général de Cîteaux, François Trouvé lui adressa une lettre dans laquelle il le remerciait pour ses manifestations d’amitié et ses sentiments qui « répondent à la confiance entière que j’ay en vous : j’en auray toute ma vie par l’amitié que vous me marquès, continuer moy là, s’il vous plaît : je vous donne la mienne de tout cœur ; vous la trouverez toujours pleine d’estime, de tendresse et de considération avec laquelle je suis, Monsieur et très honoré prieur, votre très humble et très obéissant serviteur ».
A Léoncel, Dom Périer tenta de prolonger l’effort accompli par Dom Jourdain pour restaurer une vie religieuse plus cistercienne. Dès 1744, il fut chargé de faire l’examen canonique de Sœur de la Rouillères, novice de Vernaison qui voulait faire profession dans l’Ordre. En 1748, Andoche Pernot, abbé général de Cîteaux décédait et le Chapitre général élut François Trouvé à sa place. En 1751, Dom Périer reçut un diplôme de vicaire général de l’ordre pour le Dauphiné. Il se trouvait alors habilité « à faire régulièrement visite des maisons du Dauphiné ». La première le conduisit à l’abbaye de Saint-Paul, transférée à Beaurepaire. Il s’agissait de moniales. Périer y vint, assisté de son frère Jean. Il vérifia les comptes, recettes et dépenses depuis la date de la dernière visite (1749). Il regarda les contrats, rencontra chacune des personnes présentes au monastère. Son rapport insiste sur « l’entente cordiale » qui règne dans l’établissement et qui se fonde sur la charité chrétienne. Il fait l’éloge de l’abbesse. Périer visita tout le monastère et souligna « l’extrême décence de tout et le bon entretien des bâtiments ».
En 1744, il représenta l’abbé général à Vernaison, près de Romans, à l’occasion des vœux d’une moniale qu’il s’agissait de « recevoir à profession ». En 1752, il visita Aiguebelle dont les archives conservent des traces de son passage. En 1753, il se rendit deux fois aux Ayes, dans le Grésivaudan, d’abord pour représenter l’abbé général à une cérémonie de vœux, ensuite pour régler de délicats problèmes financiers concernant une dette des Pères de la Charité de Grenoble et la levée des dîmes.

leoncel-abbaye-39.5La volonté d’installer l’abbaye dans la plaine
Assez rapidement, Dom Périer, en dépît de son évident intérêt pour l’économie montagnarde, nourrit l’idée d’installer l’abbaye en plaine. A plusieurs reprises qu’il présenta le site de Léoncel comme très difficile à habiter du fait de son isolement, de l’insuffisance des voies d’accès et d’une insécurité grandissante. Il s’en était ouvert dans une lettre adressée à l’abbé commendataire qui séjournait alors à Saint-Benoît sur Loire et qui fit attendre sa réponse. Celle-ci ne paressait pas hostile au projet de descente dans la plaine. Mais sans doute l’abbé n’avait–il pas réalisé que, s’appuyant sur les chartes de fusion de la communauté de la Part-Dieu avec l’abbaye de Léoncel, Périer visait très précisément ce domaine considéré comme le fleuron du temporel cistercien. Alors que les chartes de 1194 avaient affirmé que la Part-Dieu et Léoncel ne formaient plus qu’une seule et même abbaye et que les moines y séjourneraient de la fête de Saint-André à Pâques, la Part-Dieu avait été attribuée à l’abbé commendataire lors du partage du temporel en 1697. Dom Périer et les moines souhaitaient occuper la Part-Dieu et aussi que lui demeurent rattachés, le moulin de Charlieu et le domaine de Saint-Martin d’Almenc, ainsi que le terrier de la Part-Dieu. Ils proposaient en échange le Conier, plus vaste et dont les revenus étaient presque équivalents et pourraient être complétés financièrement. Mais Alexandre Milon aimait y séjourner et il refusa la proposition.
Un peu par bravade et sans doute dans l’espoir de forcer la main à l’évêque-abbé commendataire, Dom Périer allait profiter de la peur suscitée par la présence de la bande de feu Mandrin au village relativement voisin d’Omblèze, suscitée et indéniablement grossie, pour quitter nuitamment Léoncel avec ses frères cisterciens et installer la petite communauté au hameau de Montélier aujourd’hui nommé LES BERNARDINS. Nous sommes alors en JUIN 1757. Dom Périer obtient l’aval de Cîteaux pour ce transfert.
Ayant eu l’occasion de le visiter en compagnie de Bernard JOBIN, dans les années 198O, l’auteur de ces lignes a vu la chapelle en cours de transformation en cuisine, la superbe charpente de l’ancienne magnanerie et divers bâtiments constituant un havre plutôt tranquille, mais totalement ETRANGER à l ‘histoire et à la tradition « Léoncelliennes ».

1er mars 2OI2 Michel WULLSCHLEGER