LES ABBES DU XVe SIECLE

Le XVe siècle débuta mal pour les ordres monastiques mis en difficulté par le Grand Schisme d’Occident (1378-1417) opposant les partisans d’Urbain VI et ceux de Clément VII, puis de leurs successeurs respectifs. L’unité de l’ordre de Cîteaux s’en trouvait menacée. Le chapitre Général de 1402 nous a laissé un texte nourri de pessimisme : « Ne sommes nous pas arrivés à la fin des Temps ? L’iniquité abonde partout. La charité est refroidie. La stérilisation des campagnes met la famine à nos portes. Ne sont-ce pas là les signes avant-coureurs de l’Antéchrist ? Les officiers et ministres des rois, ducs, comtes et barons et même –- ce qui est plus grave— les prélats piétinent à plaisir nos droits, nos libertés, nos immunités,…veulent-ils nous réduire à la mendicité ? ». Le concile de Constance et l’élection de Martin V, pape unique, permirent de retrouver une précieuse unité. Mais d’autres évènements expliquent que les historiens considèrent que le XV° siècle, comme celui qui l’a précédé, fait partie des « Temps difficiles » de notre histoire. Peuvent l’expliquer les conséquences indirectes de la guerre de cent ans, achevée seulement en 1453 (bataille de Castillon et reprise de Bordeaux) voire en 1475 (Traité de Picquigny entre Louis XI et Edouard IV) ; les épidémies de peste et de dysenterie, sans oublier les erreurs des médecins de l’époque; la faiblesse des rendements et les famines de 1408-1409 et 1437-1439, le refroidissement climatique et les périodes de grands froids, les jacqueries et les émeutes urbaines. S’ajoutent pour les moines de Léoncel, les décisions du dauphin Louis II, futur Louis XI et les conséquences du rattachement du Valentinois et du Diois au Royaume de France en 1446.

Jacques de Revel 1399-1424, surnommé Jacques Quatuor, hérita d’ une situation financière déplorable, et d’une dette de 700 florins d’or, sans doute pour non paiement des annates et autres redevances dues à la cour pontificale. L’abbé, bon administrateur, parvint à faire réduire de 45 à 25 sétiers, la rente due à Charles de Poitiers pour l’exploitation du moulin de Charlieu. Un acte de 1401 rappelle que le seigneur se doit de contraindre les habitants à utiliser le moulin banal, source de revenus pour l’abbaye ; que les moines doivent célébrer trois messes par semaines pour le salut de Charles de Poitiers et des siens. En 1402, le dit seigneur déclara se contenter désormais de la reconnaissance de sa directe (propriété éminente) sur le domaine du moulin et d’un seul sétier de froment de cens. L’abbé Jacques réussit à établir des compromis intéressants, avec Aymar VI, comte de Valentinois qui renonça à une rente de quatre florins en échange d’une certaine quantité de vin de l’abbaye et avec le chapitre de Saint Barnard de Romans auquel il racheta un cens annuel, puis une pension de 10 sols à verser aux prêtres de la chapelle Saint Maurice. La situation s’étant améliorée, l’abbaye put acheter trois maisons à Romans, dont l’une attenante à la Maison de la Roue, résidence de l’abbé et des religieux. Comme nous l’avons vu précédemment, en avril 1424, l’abbé Jacques se sentant trop âgé et infirme, annonça qu’il donnait sa démission

Antoine de Nerpond (1424-1448) et l’abbaye bénéficièrent d’une tranquillité relative. Sous cet abbatiat allait se régler la succession de Louis II de Poitiers, dernier comte de Valentinois et Diois, mort sans héritier en 1419. Les « ayants droit » étaient nombreux. Charles VII, absorbé par la guerre contre l’Angleterre ne put s’occuper de ceux que lui conférait le testament de Louis II de Poitiers. Le pape garda une certaine réserve. Les Poitiers Saint-Vallier, cousins du défunt, s’agitèrent et s’emparèrent de quelques places. Le duc de Savoie, Amédée VIII, intervint avec des arguments non négligeables et disposa son armée sur une partie importante de l’héritage territorial dont les Mandements d’Eygluy, (celui dans lequel se trouvait l’abbaye), de Baix et de Beaufort. Finalement le dauphin Louis II, futur roi Louis XI, prit le titre de comte de Valentinois et Diois, dont le territoire fut rattaché au Royaume de France en 1446.
La situation de l’abbaye s’améliora, avec le concours de la Papauté qui se montra moins exigeante en matière d’annates et autres impositions, et qui accepta la vente d’indulgences. Mais le cloître ne fut pas rebâti, ni les ailes occidentale et méridionale. L’abbé albergea des terres à deux frères habitant Romans et d’autres au Mandement d’Alixan, dont certaines à un hôpital romanais. Par ailleurs , le prieur de Saillans accepta de réduire la redevance due pour l’église de Saint-Roman sur le plateau de Combe Chaude que le faire-valoir indirect avait sans doute repeuplé.

L’abbé Jacques Barachin, (1448-1460), s’entendit avec le châtelain d’Eygluy pour affermer à noble Jean Chabert de Cobonne, les pâturages d’Ambel pour 85 florins à se partager. Le dauphin Louis II, futur Louis XI, entra en possession de l’héritage du dernier comte de Valentinois. Il dédommagea la Papauté et les Poitiers Saint-Vallier en leur attribuant des terres. Amédée VIII de Savoie avait renoncé, appelé à un autre destin , celui d’un antipape sous le nom de Félix V, puis d’un très légitime cardinalat. ll mit rapidement de l’ordre dans l’administration de son apanage, notamment par le biais de traités de pariage, ce qui lui valut l’hommage des évêques et des monastères. En 1457, la communauté comptait, à Léoncel, l’abbé, 8 moines profès, des frères convers et des donnés qui ont abandonné leurs biens à l’abbaye en échange du logement, du vêtement, de la nourriture et de la sépulture. Un petit nombre de moines et de convers résidait à la Part-Dieu

Jean Béranger (146? – 1502) dirigea l’abbaye pendant une quarantaine d’années, mais nous ne savons pas de façon certaine quand commença son abbatiat. Il accorda beaucoup d’attention à la gestion du domaine temporel régla sur Ambel, en 1464, des problèmes suscités par le nouveau seigneur d’Eygluy François d’Urre, un protégé du dauphin Louis II, vendit en 1465, une des maisons romanaises de l’abbaye , proche de la Maison de la Roue, mais inutile à la communauté. Il s’était donc affranchi de la règle de ne pas vendre de biens cisterciens. Il est vrai que l’argent manquait, , que le nombre des moines avait beaucoup diminué, que l’entretien du bâti représentaitt une grosse dépense. Pourtant, sur les conseils d’un notaire il acheta dans la « rue des artisans » un immeuble qui avait été sisi à la demande de nombreux créanciers du précédent propriétaire. La situation n’était peut-être pas si sombre pour l’abbaye ?
En 1466, celle-ci convoqua devant le notaire pour qu’ils expriment des « reconnaissances », les albergataires du Val de Léoncel, entre la Vacherie et les gorges d’Omblèze. On note que la f amille Eynard y disposait de nombreuses tenures. En 1468 l’abbé accorda un bail à ferme de trois ans sur l’herbage de la Saulce à un habitant du Cheylard (paroisse de Sébie) à raison du versement chaque année de 8 florins d’or, six quintaux de fromage, et deux quintaux de sarrasson (fromage maigre). En 1472 Ambel fut arrenté à un habitant de Cobonne pour 477 florins d’or, 6 quintaux de fromage et 6 de Sarrasson, à verser moitié pour l’abbé, moitié pour le seigneur d’Eygluy. En 1477 un bail a ferme sur la Saulce et des terres du devès fut accordé pour six ans à un habitant de Montéléger en plaine de Valence pour le prix 55 florins d’or par an. En 1479 , l’abbé albergea diverses terres le long de la Lyonne à un habitant d’Oriol . On note encore l’albergement d’un droit de capter l’eau de la Lyonne et de l’amener par un canal jusqu’à une scie, pour 4 sols par an.
En 1486, un procès opposa l’abbaye aux villageois de Charpey qui prétendaient que les fermiers des moines n’avaient pas le droit de labourer des terres sur lesquelles eux-mêmes conduisaient leurs troupeaux à la belle saison. L’abbé accepta de transiger, accordant le pâturage contre un cens. de deux sétiers de froment. Les habitants de Châteaudouble s’émurent , rappelant que Combe Chaude se trouvait sur le territoire de « leur » Mandement . et estimant que les droits des moines pouvaient être suspects. Sollicité par l’abbaye, le Parlement de Grenoble, saisi par l’abbé donna raison aux moines en 1491. Mais sur ce thème, le conflit allait devenir endémique.
Au seuil et au début du XVI° siècle, des problèmes surgirent à propos de l’exigence du chapitre épiscopal de Valence de lever la dîme sur des terres cédées à l’abbaye qui opposait à cette prétention le privilège d’exemption accordé à l’ordre de Cîteaux par Boniface VIII ; à propos aussi du droit de lever des tasches (taxes sur les récoltes obtenues après essartage) sur certains territoires du Chaffal, droit qu’il fallut partager avec Jean de Montclar, prieur casadéen de Beaumont et du Chaffal ; à propos enfin du creusement d’un canal conduisant au moulin de Charlieu l’eau de la source d’un ruisseau né sur le domaine de la Part-Dieu au moulin de Charlieu.

1° décembre 2010 Michel WULLSCHLEGER.