Des moines profès cisterciens à Léoncel

Les chroniques de Léoncel, 6

Les abbayes de moines cisterciens accueillent trois sortes de religieux : des moines profès ou moines de chœur ayant vocation à devenir prêtres et piliers de la vie religieuse, des novices se préparant à devenir des moines et des frères convers entrés en religion pour assumer les tâches matérielles essentielles de la vie du monastère.

Les premiers moines profès

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(cliché MW)

Les moines profès de la première communauté monastique de Léoncel venaient de l‘abbaye de Bonnevaux où ils étaient entrés dans l’ordre de Cîteaux. Nous connaissons quelques noms grâce à la charte dite de Raymond de Châteauneuf, datée de 1163 et qui évoque Burnon, le premier abbé, ainsi que les moines Guillaume d’Ornacieux, Falcon de Rochefort, Assel et Giraud, en tant que témoins vers 1139, d’une toute première donation en plaine de Valence, celle d’une « condamine », terre de la réserve seigneuriale de Raymond. Falcon, le deuxième abbé allait succéder rapidement à Burnon, comme on l’a vu précédemment. En 1165, nous croisons, toujours dans le cartulaire d’Ulysse Chevalier, Hugues de Châteauneuf, troisième abbé, accompagne de Guillaume d’Ornacieux et aussi de Pierre de Viriville. Faut-il souligner que si Rochefort se trouve au pied du Vercors

Du noviciat à la profession

Le plus souvent laïc, mais parfois clerc ou même moine d’un autre ordre, le « postulant » sollicite son admission dans la communauté monastique. Il s’agit au moins d’un jeune homme qui n’a pas vécu dans l’établissement, car l’ordre de Cîteaux contrairement à d’autres refuse (en tout cas au début) les « oblats », ces enfants confiés, recevant une première formation et participant à certains exercices religieux. Après une courte mise à l ‘épreuve, ce postulant rejoint le groupe des “novices” qui vit dans un bâtiment à part sous la direction du “maître des novices”, fait publiquement état de sa vocation et reçoit la bénédiction de l’abbé. Il s’agit alors de se préparer à la vie monastique en respectant un règlement très sévère qui l’initie au silence, à la vie religieuse (récitations, psalmodies des “heures”, célébration des divers offices), au travail intellectuel et aux tâches de la vie quotidienne. Le novice apprend par cœur la règle de saint Benoît. Au début de l’histoire cistercienne, on évoque parfois des moines illettrés. Mais dès 1120, le novice bénéficie d’une initiation au savoir religieux et au latin, dans le cadre d’un enseignement donné par le “maître”.
L’étape du noviciat franchie, le novice fait profession. Il prononce solennellement à l’église du monastère et devant l’abbé et la communauté monastique, de préférence un dimanche ou lors d’une fête religieuse importante, les trois vœux qui font de lui un moine. Il doit écrire ses vœux, les signer, les déposer sur l’autel. Le vœu de stabilité l’engage à demeurer jusqu’à la mort dans son état monastique et dans son monastère : il signifie une totale adhésion à la communauté du monastère choisi et traduit l’hostilité des cisterciens envers les moines “gyrovagues”, incapables de se fixer. Dans les coutumes de chartreuse, Guigues le Chartreux condamne lui aussi les gyrovagues. Le vœu de conversion des meurs exprime le respect du nouveau moine pour les principes essentiels de la vie religieuse cistercienne : le renoncement au monde, la chasteté et la pauvreté individuelle. Le vœu d’obéissance traduit la soumission à la règle et aussi à l’abbé.

Vivre en moine profès

Les profès cisterciens pratiquent le cénobitisme ou vie en communauté. Contrairement aux Pères chartreux qui assument seuls dans leur cellule cinq des huit services de l’office divin quotidien, ils se regroupent à l’église pour vivre ensemble Matines (avec récit de psaumes et prière de laudes), Prime (chant, lecture et méditation, suivis de la réunion quotidienne du chapitre conventuel), Tierce, la Messe conventuelle, Sexte, None, Vêpres et Complies. À l’exception de l’abbé qui dispose d’une chambre, ils dorment dans un dortoir, sur des paillasses recouvertes d’un drap, avec seulement un oreiller et une couverture. Ils son vêtus d’une tunique de laine écrue, non teinte, ce qui explique l’appellation de “moines blancs”. Sur cette tunique, ils passent des “coules” sans manches, non cousues sur les côtés mais pourvues d’une capuche. Au contraire des Pères chartreux, ils prennent tous leurs repas ensemble, au réfectoire.
Seuls les profès ont “voix au chapitre”, lors des réunions quotidiennes tenues dans la “salle du chapitre” et participent aux décisions collectives. Sous la présidence du “père immédiat” du monastère, en l’occurrence pour Léoncel, l’abbé de Bonnevaux, les profès, et eux seuls, élisent leur abbé (de “abbas”, le père). Elu à la majorité et pour la vie, l’abbé peut être appelé à prendre la tête d’un autre monastère, comme le troisième abbé de Léoncel, Hugues de Châteauneuf, choisi comme abbé en 1169 par les moines de Bonnevaux. Il peut aussi démissionner, comme l’ont fait Robert de Molesmes dès 1099 à la demande du pape soucieux de la voir réintégrer son monastère de Molesmes ou Étienne Harding, en 1133 pour des raisons d’âge et de santé. En cas de contestation de l ‘élection, l’évêque du diocèse est habilité à juger, mais, s’il s’en suit une crise, il en appelle au chapitre général de l’ordre qui réunit tous les abbés cisterciens chaque année à Cîteaux. L’abbé, chef incontesté de la communauté, veille au respect des obligations ‘régulières’, dirige la communauté par sa prédication, explique et fait appliquer les décisions du chapitre général, et punit les manquements. Appliqué à Léoncel à partir de 1681, le système de la ‘commende’, fondé sur la nomination autoritaire d’un ‘abbé commendataire’ par le roi et par le pape, mettra fin à la règle et au principe de l’élection.
L’abbé se fait seconder par quelques ‘officiers’. Le prieur, à même de le remplacer ponctuellement, joue un rôle de surveillant général de la vie quotidienne de la maison (on peut rappeler que par humilité les chartreux confient la direction de leurs maisons, non pas à des abbés qui auraient ‘rang et crosse d’évêque’, mais à des ‘prieurs’. Le sacriste est responsable du culte et de la liturgie, des objets du culte et des célébrations et cérémonies. Le cellérier, gestionnaire du domaine temporel organise la vie économique et les travaux. Le portier filtre les entrées et les sorties. L’aumônier s’active auprès des pauvres qu’attire le monastère. L‘infirmier soigne ses frères et les malades de l’extérieur en cas d’épidémie. Un maître des novices peut être désigné en fonction des variations de l’effectif.
Un peu à l’ombre des moines profès, les frères convers jouent, notamment au temps du faire-valoir direct, un rôle essentiel dans la mise en œuvre et dans l’exploitation d’un domaine temporel qui assure la subsistance du monastère.

1er mai 2009, Michel Wullschleger

Note :

Les Amis de Léoncel ont publié en 2001 les actes du colloque d’août 2000 consacré à La vie religieuse à Léoncel [XIIe-XVIIIe siècles]. Il s’agit du Cahier de Léoncel n° 17.